Tabac au travail : quel rôle pour la CSSCT ?

Posté le 22 juin 2016 | Dernière mise à jour le 19 mai 2021

Tabac au travail : quel rôle pour le CSSCT ?

Le tabac tue près de 80 000 personnes par an en France et reste un enjeu important de santé publique. Faut-il pour autant que la CSSCT, voire le CE, s'empare de ce sujet ? Et si oui, avec quelles précautions et pour quoi faire ? Les témoignages d'élus et d'experts, le rappel de la loi, et les ressources publiques disponibles pour vous aider à y voir clair.

La CSSCT a pour mission "de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale" des salariés de l'entreprise, énonce l'article L. 4612-1 du code du travail. La CSSCT peut donc concourir à prévenir les méfaits pour la santé de l'usage du tabac, d'autant qu'il n'est pas rare que des salariés disent au travail vouloir cesser de fumer. Après tout, comme le note la Cour des comptes dans son rapport publié le 10 février, le tabac provoque 78 000 décès chaque année en France et a engendré de 12 à 25,9 milliards d'euros de coûts sanitaires en 2015, voire 120 milliards pour l'ensemble des coûts sociaux liés au tabagisme (lire notre encadré en fin d'article).

 

Local fumeur : la CSSCT doit être consulté

Il est interdit de fumer dans les locaux de travail, qu'ils soient à usage collectif ou individuel (article R3511-1 du code de santé publique), depuis le 1er février 2007. Cette interdiction doit être rappelée par une signalisation (article R3511-6). Toutefois, l'entreprise peut aménager des "emplacements mis à la disposition des fumeurs" (article R3511-2). Ces espaces doivent répondre à des normes techniques précises (voir l'article R3511-3). Ces projets d'aménagement de local fumeur doivent faire l'objet d'une consultation de la CSSCT, ou à défaut des délégués du personnel et du médecin du travail, précise l'article R3511-5. Cette consultation doit être renouvelée tous les deux ans.

 

Vapotage : ce que dit la loi

Cependant, hormis la nécessaire consultation de la CSSCT en cas de local dévolu aux fumeurs ou d'un projet de l'employeur visant à interdire l'usage de la cigarette électronique dans l'entreprise, quelle peut-être l'action réelle de l'instance ? Et d'abord, la CSSCT est-il légitime à agir dans ce domaine ?

"S'il est vrai que le tabac, l'alcool, le suicide et les accidents de la route sont les principales causes d'années de vie perdues et constituent donc une priorité de santé publique, le rôle de la CSSCT doit être concentré sur la santé au travail. Or nous sommes ici, avec le tabac, sur un sujet à la frontière de la santé publique et de la santé au travail.

Le danger, pour la CSSCT, c'est un risque de dilution et de passer à côté de risques chimiques, physiques ou psychosociaux", met en garde Stéphane Le Boisselier, médecin du travail, qui précise toutefois que la lutte contre le tabagisme figure bien parmi les missions de la médecine au travail.

"La CSSCT peut agir pour sensibiliser le personnel, avec l'employeur. Dans mon entreprise, j'observe d'ailleurs que la loi est mal respectée", juge de son côté Alain Delepine, membre du CE et de la CSSCT de la société Sotira à Meslay-du-Maine (Mayenne).

“Les conditions de travail, c'est aussi les pauses et les espaces pour les fumeurs”

Dans cette PME du secteur de la plasturgie, l'élu décrit des accès à l'usine "pollués par la fumée des salariés qui sortent pour faire une pause cigarette", "dans un lieu où il y a déjà des émanations de peinture", d'où un tabagisme passif subi par une majorité de salariés, la PME comptant environ 50 fumeurs sur 160 salariés, selon l'élu. "Au moment de l'interdiction de fumer en entreprise, nous avions beaucoup de questions d'élus à propos des pauses demandées par les fumeurs. Ils s'angoissaient à l'idée de ne pas pouvoir tenir tranquille sans fumer et les élus s'inquiétaient pour les conflits que ça risquait de provoquer. Depuis, les mentalités ont changé. Mais l'organisation des pauses et des espaces fumeurs, qui concerne en fait les conditions de travail, est un vrai sujet pour les instances représentatives", juge Claire Baillet, du cabinet Alinea.

Une analyse corroborée par Stéphane Le Boisselier : "Nous sommes beaucoup moins sollicités par des CSSCT que lors de l'interdiction de fumer au travail. Les élus nous appelaient pour mener des campagne de sensibilisation et pour se renseigner sur les substituts à la cigarette". Mais les conditions et l'organisation des pauses pour les fumeurs (espaces trop éloignés, peu pratiques d'accès, question de la proximité avec des produits dangereux, etc.) légitiment toujours à ses yeux l'intervention de la CSSCT.


Attention à ne pas braquer les salariés

Secrétaire du CE du groupe hospitalier Saint Joseph (2 000 salariés), Anne Larinier est également convaincue de la nécessité de lutter contre le tabac - mais il est vrai qu'elle est elle-même infirmière de formation. "Pour tout ce qui a trait à la santé, la CSSCT est à mes yeux légitime à agir, y compris avec le comité d'entreprise pour proposer des conférences, des forums, de la sensibilisation", estime l'élue. On peut donc imaginer que la CSSCT et CE mettent à disposition des salariés des fiches d'informations, des coordonnées utiles, etc., le CE pouvant financer ces actions.


“La CSSCT ne doit pas se substituer à l'employeur”

Attention cependant à ne pas braquer les salariés fumeurs, car on touche ici aux libertés individuelles, avertit Jérôme Tourvieille, responsable de mission chez Isast, cabinet d'expertise auprès des CSSCT.

"La CSSCT ne doit pas être perçu comme un contrôleur qui veut imposer un comportement et un point de vue. L'instance ne doit pas se substituer à l'employeur pour faire respecter l'interdiction de fumer dans les locaux, sauf bien sûr dans certains cas où il en va de la sécurité, comme dans l'industrie pétrolière", soutient l'expert qui ajoute que le tabac apparaît souvent comme un problème très secondaire par rapport à d'autres risques pour la santé, comme l'inhalation de fumées de soudure dans un atelier.

 

L'outil du document unique

"Mais cela étant, poursuit Jérôme Tourvieille, la CSSCT peut pousser l'employeur à se préoccuper de cet enjeu de santé collectif qu'est le tabac. Il est aussi possible de le faire prendre en compte dans l'élaboration du document unique", ce document qui recense les risques professionnels auxquels les salariés sont exposés, et qui prévoit les préventions prévues pour éviter ces risques.

Parler du tabac dans le document unique, c'est prendre en compte le tabagisme passif, les risques de conflits entre salariés sur cette question, la bonne localisation des espaces fumeurs, etc. Parmi les actions possibles de la CSSCT, Jérôme Tourvieille imagine une action de sensibilisation menée avec la médecine du travail pour proposer, par exemple, des bilans de santé.


“Il faut déconstruire l'image positive liée à la cigarette”

Comme dans d'autres addictions, toute la difficulté est de concevoir une action respectueuse de la liberté de chacun mais qui soit efficace. Vincent Pallumail a fumé pendant 15 ans avant d'arrêter, il y a 4 ans. Le déclic ? "Tout a changé quand je me suis rendu compte que je n'étais pas libre de choisir de fumer ou pas. Lorsque je travaillais pour une société de gestion financière, je me suis aperçu que je subissais moi aussi le marketing de la cigarette : il est "cool" de fumer, c'est un moment de convivialité, un calmant, un soutien", raconte ce jeune homme. Vincent Pellaumail a depuis créé son activité pour vendre, en tant que coach, sa méthode pour cesser de fumer, baptisée RLC comme "Reprenez le contrôle".

"Je n'ai pas une approche moralisatrice. Rien ne sert de dire à un fumeur qu'il met sa santé en danger, il le sait très bien. Plutôt que de demander quelles sont les raisons qui vous poussent à arrêter, je vais vous demander quelles sont les raisons qui vous incitent à continuer. Et à partir de là, nous pouvons déconstruire le discours du marketing et vous inciter à retrouver le chemin de la liberté", expose Vincent Pallumail, qui tenait la semaine dernière un stand au salonsCE de Paris. Le jeune homme propose 5 séances, facturées 200€ par personne, mais aussi des interventions devant des groupes (500€ la séance).


De nombreuses ressources publiques et associatives

Mais il existe aussi des ressources publiques et gratuites sur le tabac. L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'Inpes, a un site internet riche en informations et conseils, www.tabac-info-services.fr, ainsi qu'un numéro d'appel (le 39.89) pour être en relation avec un spécialiste tabac.

Le site propose même un autotest : Êtes-vous prêt à cesser de fumer ? Pour les entreprises, l'Inpes propose également un guide en téléchargement (voir aussi en pièce jointe). Dans ce guide, l'Inpes conseille notamment aux entreprises de se doter d'une charte de prévention du tabagisme et en donne cet exemple :


tabac engagement de l'entreprise


Créer un groupe de travail sur le tabac associant les élus du personnel

L'Inpes préconise au préalable aux entreprises de constituer un groupe de travail sur le tabac associant la CSSCT, le CE et les syndicats, une personne pouvant être désignée comme déléguée du groupe. Ce groupe peut établir un état des lieux et élaborer un plan d'action après avoir consulté l'ensemble du personnel via un questionnaire. Ce plan d'action peut comporter une aide au sevrage pour les fumeurs intéressés. À ce propos, il faut noter que la dernière loi santé donne aux médecins du travail la possibilité de prescrire des substituts nicotiniques aux travailleurs.

En plus bien sûr des services de santé au travail, élus et entreprises peuvent aussi s'appuyer, pour se faire aider dans une démarche collective de prévention, par des organismes comme :

  • les caisses régionales d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT);
  • les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM);
  • les caisses générales de Sécurité sociale (CGSS);
  • les agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail (ARACT);


Tabagisme passif : l'obligation de sécurité de résultat pèse sur l'employeur

Vous trouverez aussi des documents utiles sur le site de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) comme par exemple :

  • une note sur les dangers du tabagisme passif ("La majorité des études épidémiologistes fait état d'un accroissement du risque relatif de cancer du poumon dû au tabagisme passif sur les lieux de travail et en dehors du travail");
  • des informations sur les effets sur la santé des pratiques addictives, etc.


L'INRS organise aussi des formations payantes pour préventeurs, responsables RH, délégués du personnel et membres du CHSCT sur la prévention des risques liés aux pratiques addictives en milieu professionnel. Signalons encore l'association militante "Droits des non fumeurs" très vigilante sur le respect de la réglementation qu'elle présente sur son site internet. La Cour de cassation est non moins vigilante, du reste, sur le sujet. Dans plusieurs arrêts (du 29 juin 2005, du 6 octobre 2010, du 6 février 2014), elle a déjà jugé qu'un salarié victime de tabagisme passif pouvait légitimement prendre acte de la rupture de son contrat de travail, l'employeur étant tenu à une obligation de sécurité de résultat envers son personnel.


La lutte contre le tabagisme selon la Cour des Comptes

la lutte contre le tabagisme

 

Un Français sur trois fume, contre un Anglais sur cinq

Les ventes de tabac sont reparties à la hausse en 2015 (+1,6%), sans doute du fait de l'absence de hausse de la fiscalité sur les cigarettes décidée par l'Etat pour 2015 et 2016, déplore la Cour des comptes dans son rapport sur 2015. Selon la Cour, l'objectif que se fixe l'Etat de diminuer le nombre de fumeurs quotidiens de 10% en 5 ans risque de ne pas être atteint, la proportion de fumeurs quotidiens en France étant supérieure de 20% à celle de 15 pays de l'OCDE. "Là où un Français sur trois fume, c'est le cas d'un Anglais sur cinq", souligne le rapport. La France compte 13,4 millions de fumeurs quotidiens en 2014, soit 28,2% de la population âgée de 15 à 75 ans, et 16 millions de fumeurs occasionnels, soit 34,1%. La Cour déplore la faiblesse des crédits consacrés à la prévention et recommande, outre une mobilisation plus forte des professionnels de santé, des hausses de prix des cigarettes plus fortes de façon à avoir un effet dissuasif sur la consommation.
Le tabac tue 78 000 personnes par an en France, le principal facteur de risque des cancers broncho-pulmonaires étant le tabagisme actif ou passif (85% à 90% des cancers de ce type, selon la Haute autorité de santé).

[Lire l'article original : Actuel-CE.fr]

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