Suicides au travail : une méthode pour aider la CSSCT à enquêter

Posté le 14 avril 2016 | Dernière mise à jour le 23 juin 2021

Suicides au travail : une méthode pour aider le CSSCT à enquêter

L'institut national de recherche et de sécurité (INRS) publie un document pour aider la CSSCT à mener une enquête sur les suicides ou tentatives de suicide au travail. Nous vous en proposons une courte synthèse en 12 points.

1. La déclaration

En cas de suicide ou de tentative de suicide au travail ou sur le trajet entre le domicile et le travail, rappelle tout d'abord l'INRS, l'employeur doit déclarer l'événement en accident de travail. Il en va de même en cas de suicide (ou de tentative) hors du lieu et du temps de travail si des indices laissent supposer que l'acte est directement lié au travail.

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2. Le vote d'une enquête

La CSSCT peut ensuite décider, par un vote lors d'une réunion extraordinaire, de créer une délégation d'enquête (articles L4612-5 et R4612-2 du code du travail) en définissant sa composition, sa mission et ses moyens.

"L'enquête de la CSSCT a pour mission de mettre au jour les éventuels facteurs professionnels intervenant dans le geste du salarié afin de proposer des mesures de prévention", expose l'INRS. Cette délégation doit être paritaire, c'est à dire comprendre des représentants de la direction de l'entreprise et des représentants du personnel membres de la CSSCT, ceux-ci pouvant être en nombre supérieur. Peuvent aussi faire partie de cette délégation le médecin du travail, l'infirmier, l'assistante sociale de l'entreprise.

Attention : il n'appartient pas à la CSSCT de statuer sur "l'imputabilité" du suicide au travail, qui permet au salarié ou à ses ayants droits de faire valoir ses droits. Ce rôle appartient à la CPMA (Caisse primaire d'assurance maladie).

 

3. Enquête interne ou externe ?

La CSSCT peut non seulement décider de mener une enquête mais aussi de confier une expertise sur le sujet à un expert extérieur. Les deux approches, qui peuvent être complémentaires, sont différentes.

Dans le premier cas, ce sont les membres de la CSSCT qui réalisent eux-mêmes l'analyse, éventuellement appuyés par un préventeur de la Carsat (caisse d'assurance retraite et santé au travail), de la Cram (caisse régionale d'assurance maladie) ou de la CGSS (caisse générale de sécurité sociale), le rôle de ce préventeur consistant notamment à garantir le contrôle des engagements de la direction à mettre en œuvre les mesures de prévention décidées.

Dans le deuxième cas, la CSSCT confie à un cabinet extérieur l'analyse de l'événement. L'INRS estime que le choix d'une démarche interne "favorise l'appropriation des résultats par l'ensemble des membres de la CSSCT" et peut témoigner "de l'engagement de l'employeur à analyser et tirer les enseignements" de l'événement. Cette enquête permet en outre de favoriser la parole des salariés "et libérer leur charge émotionnelle dans un cadre de parole protecteur". En outre, plaide l'INRS, l'enquête menée par le CHSCT entraîne aussi la formation de ses membres aux problèmes psychosociaux.

 

4. Les moyens de la délégation

Pour mener à bien sa mission, la délégation doit avoir l'autorité et les moyens nécessaires. Ainsi, le temps passé pour cette mission doit être rémunéré comme du temps de travail effectif (article L4614-6 du code du travail).

Cela suppose aussi que les représentants de la direction présents dans la délégation d'enquête aient suffisamment d'autorité pour avoir, par exemple, accès aux documents et pour engager la direction dans la mise en œuvre des préconisations finales. Mais aussi que certains élus de la mission soient expérimentés, notamment dans la conduite des entretiens.

L'INRS estime entre 10 à 15 jours pleins le temps nécessaire pour cette enquête, soit une durée qu'il est possible d'étaler sur plusieurs semaines selon les disponibilités.

 

5. Les grands principes à respecter : rechercher des faits

Parmi les grands principes que la délégation d'enquête doit respecter figurent :

  • la recherche de faits et éléments objectifs concernant le travail;
  • la non prise en considération d'informations relevant de la vie privée et familiale du salarié;
  • un devoir de confidentialité;
  • le respect du principe de volontariat des salariés pour s'exprimer;
  • le compte-rendu des travaux devant la CSSCT, qui décidera des suites à donner, etc. 

 

6. Faire savoir aux salariés que l'enquête est lancée

L'INRS conseille au président du CSE d'informer les salariés de la création de la délégation d'enquête, et de le faire en associant le secrétaire de la CSSCT, par exemple avec un texte écrit et signé ensemble. 

 

7. Premier travail pour l'enquête interne : définir une méthode

La délégation d'enquête de la CSSCT recueille les diverses informations sur l'activité du salarié et son parcours professionnel.

Exemples : agenda professionnel de l'intéressé, décomptes des heures de son activité, fiches d'entretien annuel d'évaluation sur plusieurs années, etc.

L'accès à l'ordinateur de la victime doit être envisagé et débattu. Concernant le contexte professionnel, les membres de la CSSCT identifient les personnes à interviewer individuellement (collègues, hiérarchie, professionnels extérieurs).

La délégation doit chercher à retracer chronologiquement les faits. Dans le cadre d'un témoignage sur la perception  de sa vie professionnelle, la délégation peut inviter le conjoint de la personne décédée à s'exprimer s'il le souhaite.

 

8. Les entretiens avec les salariés

La délégation d'enquête de la CSSCT définit le guide d'entretien et procède aux interviews des salariés. L'INRS propose de suivre comme fil les 4 thèmes suivants :

  • Les exigences liées au travail et à l'emploi : les contraintes liées au poste de travail; la soutenabilité du travail; la pérennité de l'emploi; la conciliation vie professionnelle et vie hors travail;
  • Les ressources organisationnelles : l'autonomie ou la latitude de décision; le développement des compétences; la reconnaissance du travail; le soutien social;
  • La souffrance éthique : les valeurs de métier; l'identité professionnelle.
  • La violence au travail : la violence commise par des salariés sur d'autres salariés de l'entreprise; la violence commise par des personnes extérieures sur des salariés.

Attention : l'INRS précise qu'à la différence d'une "autopsie psychologique" qui va chercher à identifier de façon statistique tous les facteurs de risque d'un individu, l'enquête du CHSCT ne prend en compte que les déterminants liés au travail, et pas le profil psychologique de la victime car les membres du CHSCT n'ont pas de compétences psychologiques ou psychiatriques.

Ces entretiens peuvent durer d'une heure à une heure trente : assez longs pour éviter les discours superficiels ou conformistes mais pas trop pour ne pas épuiser émotionnellement les personnes déjà éprouvées par l'événement. Les membres de la délégation doivent savoir qu'ils auront à faire face à une forte charge émotionnelle. Ils peuvent s'y préparer ensemble, et débriefer ensuite régulièrement ensemble les entretiens.

 

9. Classer les entretiens par type de risques

La délégation de la CSSCT chargée de l'enquête va ensuite classer les entretiens et les documents recueillis par facteurs de risques psychosociaux.

Exemple : tous les témoignages et documents se rapportant au risque de "souffrance éthique" comme : "X a mal vécu la réforme"; "X pensait que la démarche qualité était une fumisterie"; "le plus important pour lui, c'était la qualité du travail", etc.

Un premier travail d'écriture de synthèse peut être fait-en suivant ces facteurs de risque.

Important : la confidentialité des informations et des sources doit être garantie aux salariés. 

 

10. L'analyse et la synthèse

À partir du travail d'écriture précédant, la délégation produit une synthèse générale "articulant les différents facteurs de risque, sous une forme rédigée ou bien sous la forme d'un schéma représentant la hiérarchie de ces facteurs dans le geste suicidaire".

La synthèse générale vise à "une compréhension générale des facteurs de risques psychosociaux ayant participé à la genèse de l'événement", par exemple en associant une faible liberté de décision à des exigences élevées et de faibles récompenses.

Cette phase d'écriture est délicate et demande du temps. Elle peut être menée par une personne élue du personnel désignée par la délégation. 

 

11. Les propositions de mesures de prévention

La délégation propose dans la foulée des mesures de prévention correspondant à chaque facteur de risque identifié. En cas de désaccord sur les mesures, l'INRS suggère de présenter à la fois les mesures ayant fait l'objet d'un compromis et celles qui ne sont pas soutenues par l'ensemble de la délégation.

La formulation de ces mesures peut respecter un classement selon le type de prévention :

  • Prévention primaire : éliminer les risques à la source.
  • Prévention secondaire : réduire ou limiter l'effet d'un risque.
  • Prévention tertiaire : limiter les effets sur la santé de risques inévitables.

 

12. La réunion extraordinaire de la CSSCT

Le rapport et ses conclusions sont présentés lors d'une réunion extraordinaire de la CSSCT. La CSSCT l'adopte lors d'un vote formel et peut proposer à l'employeur d'intégrer dans le document unique d'évaluation des risques (DUER) les facteurs de risques psychosociaux mis en évidence avec les mesures de préventions suggérées.

Bernard Domergue (Actuel Editions Legislatives) 

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