Quand la revue de FO disséque le travail

Posté le 28 janvier 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

Pour le second numéro de sa revue théorique Forum (www.revueforum.fr), Force ouvrière se livre à une analyse aussi minutieuse que passionnante du travail, confirmant un intérêt nouveau de la part des confédérations, à la CGT comme à la CFDT, pour ce que Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, présente à la fois comme "source d'émancipation et d'aliénation". Le principe est le même que pour le premier numéro consacré au service public : il n'y a aucune contribution de syndicalistes de FO.

 Pour "favoriser le brassage des savoirs", les auteurs de Forum, dont le rédacteur en chef est David Rousset, sont des sociologues, des économistes, des historiens, des philosophes venant de divers horizons. Pour bien expliquer cette démarche, M. Mailly a cité Fernand Pelloutier: "Ce qui manque à l'ouvrier, c'est la science de son malheur".

Le sociologue Robert Castel, qui a mis en avant le concept de précariat, se penche sur l'effritement de la société salariale: "Ce qui est fondamental, note-t-il, c'est la remise en cause du compromis social du capitalisme industriel qui s'est épanoui dans les années 1960 et au début des années 1970". Dans cet équilibre d'essence réformiste entre les intérêts du marché et ceux des travailleurs, le salariat demeurait"dans un rapport de subordination (...), autrement dit la révolution n'a pas eu lieu mais les contreparties étaient tout de même considérables". Pour Robert Castel, "cet équilibre est remis en question par le passage au nouveau régime du capitalisme et la mondialisation qui instaure une concurrence exacerbée, sous l'hégémonie croissante du capital financier international pour lequel les régulations du droit du travail et de la protection sociale apparaissent comme des obstacles". La précarité a été institutionnalisée et "la résurgence de la catégorie des travailleurs pauvres vient semer le trouble". Cette évolution engendre beaucoup de mécontentements, avec par exemple le mouvement des indignés, mais Robert Castel, s'il refuse de jouer les prophètes, se montre sceptique sur la capacité des forces collectives à traduire politiquement ces colères, "compte tenu, entre autres, de la faiblesse des syndicats".

Michela Marzano, professeur de philosophie, décrypte les nouvelles valeurs véhiculées dans les entreprises, ces "habits neufs de la subordination". De manière polémique et humoristique, elle s'en prend au leurre de l'autonomie du salarié ou au management participatif  qui "n'hésite pas à produire des discours qui présentent l'engagement dans le travail comme une manière de s'accomplir". "Cela entraine,assène-t-elle, une subordination progressive de la pensée puisque le salarié doit trouver épanouissant ce qui l'aliène". Elle se moque des expressions "partenaires sociaux" - qui "camoufle la réalité des rapports sociaux" - ou "ressources humaines" - "c'est reconnaître implicitement que l'être humain est une ressource, manipulable comme n'importe quelle autre". Avec le développement de la flexibilité, assure Michela Marzano, on cherche à "façonner un nouveau type d'homme, un homme girouette, sas épaisseur, modulable comme de la pate à modeler, dépourvu de capacité d'analyse et d'esprit critique, mi-esclave, mi-robot".

Ancien directeur de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES), Jacques Freyssinet observe  que l'impact de la crise de 2008 est encore difficile àapprécier mais il relève que "le degré d'autonomie dans le travail est resté stable ainsi que le degré des contraintes physiques" mais il y a "une nette tendance à l'intensification du travail".  Jean-Claude Javillier qui a dirigé le département des normes internationales du travail à l'Organisation internationale du travail (OIT), souligne que dans le monde "ce sont quelque 8,4 millions d'enfants qui sont victimes des pires formes de travail, dont 5,7 en servitude, 1,8 exploités pour la prostitution et la pornographie, 1,2 soumis à la traite d'êtres humains, et 300 000 recrutés de force pour les conflits armés".  Emmanuel Zemmour, le jeune président de l'Unef, plaide pour l'éradication du salariat étudiant: "Le statut d'étudiant est donc un statut en creux, c'est à dire un non-statut, parce que la jeunesse est une période de la vie non reconnue. La nature ayant horreur du vide, c'est la précarité, c'est à dire l'impossibilité de vivre dignement de ses propres ressources qui est devenue la chose la mieux partagée dans le milieu étudiant". Affirmant que "plus de la moitié des étudiants doivent concilier salariat et études" et que "le budget moyen d'un étudiant provient à 42% de revenus professionnels", Emmanuel Zemmour estime qu'"il faut tordre le cou à cette idée saugrenue selon laquelle les étudiants auraient du temps à revendre puisqu'ils ne sont en cours que vingt-cinq heures par semaine". Réclamant un statut social pour les étudiants, le président de l'Unef assure que "l'étudiant salarié est un étudiant condamné à l'exploit d'atteindre le niveau académique requis sans bénéficier du temps disponible pour s'y hisser".

Ce trés dense numéro de Forum, enrichi par de poignantes et belles photos du photographe Sebastiao Salgado sur le travail manuel dans le monde, comprend de nopmbreux autres articles sur le travail. Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia, veut faire de la prévention du suicide une grande cause nationale et reprend l'idée, déjà présentée à Xavier Bertrand, ministre du travail, de créer un observatoire des crises suicidaires en France, pays qui est "en retard dans la lutte pour la prévention du suicide".  En fin d'ouvrage, plusieurs témoignages - le comédien Bruno Solo, l'académicien Jean d'Ormesson, la scénariste Agnès Abécassis ou l'humoriste Jean-François Derec - élargissent le champ de la réflexion par une note raffraichissante.

source:social.blog.lemonde.fr

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