Projet de loi Travail : une nouvelle architecture du droit pour la durée du travail et les congés

Posté le 20 mai 2016 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

 

Afficher l'image d'origineNous poursuivons notre analyse du projet de loi Travail, sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité, avec la durée du travail et les congés payés. Ces parties du code, entièrement réécrites par le texte, privilégient la négociation collective.

Seulement cinq articles, mais près de cent pages du projet de loi Travail concernent la durée du travail et les congés. En effet, le code du travail sur ces sujets est entièrement réécrit. Pour chaque thème on y trouve : les dispositions légales impératives (d'"ordre public"), la portée d'un accord sur ces sujets ("champ de la négociation collective") et les règles qui s'appliquent en l'absence d'accord ou à défaut de stipulations dans l'accord ("dispositions supplétives").

Primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche en matière de durée du travail (art. 2)

La primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche est consacrée en matière de durée du travail. Ainsi relèveront de l'accord d'entreprise : la rémunération des temps de pause et de restauration, d'habillage ou de déshabillage, dépassement du temps normal de trajet la mise en place des astreintes, le dépassement de la durée maximale quotidienne du travail dans la limite de 12 heures…

Afin d'éviter le dumping social dans les différents secteurs d'activité, le projet de loi prévoit que les nouvelles commissins paritaires de branche dressent chaque année un bilan des accords collectifs d'entreprises conclus en matière de durée du travail et de congés. Seraient particulièrement étudiés les impacts de ces accords sur les conditions de travail des salariés et sur la concurrence entre entreprises de la branche. Les commissions paritaires pourraient formuler, le cas échéant, des recommandations destinées à répondre aux difficultés identifiées (article 2 A).

 

Dérogation à la durée hebdomadaire maximale (art. 2)

Un accord d'entreprise pourra prévoir le dépassement de la durée hebdomadaire de travail de 44 heures sur une période de 12 semaines consécutives, à condition que ce dépassement n'ait pas pour effet de porter cette durée à plus de 46 heures sur 12 semaines.

Cette possibilité n'existe aujourd'hui que si elle est autorisée par décret pris après conclusion d'un accord de branche (article L. 3121-36 du code du travail).

Comme aujourd'hui, les institutions représentatives du personnel seront consultées en cas de dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail en cas de circonstances exceptionnelles.

Des accords d'entreprise pourront déroger au taux de majoration des heures supplémentaires prévu par la branche (art. 2)

Le taux de majoration des heures supplémentaires sera fixé en priorité par accord collectif d'entreprise ou d'établissement et pourra être différent de celui fixé par l'accord de branche, ce qui n'est pas possible actuellement, sans toutefois pouvoir être inférieur à 10 %. A défaut d'accord, la majoration pour heures supplémentaires reste fixée à 25 % pour les 8 premières heures, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 %.

La contrepartie obligatoire sous forme de repos est inchangée. Qu'elle soit prévue par accord ou non, elle est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel pour les entreprises de 20 salariés au plus, et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de 20 salariés.

Possibilité de moduler la durée du travail sur une période de 3 ans (art. 2)

Dorénavant, il sera possible, à condition que l’accord de branche l’autorise, qu’un accord d’entreprise prévoit une variation de la durée du travail sur une période supérieure à un an, dans la limite de trois ans. Aujourd'hui, les horaires peuvent au plus être répartis sur une période égale à l'année (article L. 3122-2 du code du travail).

Si la modulation de la durée du travail s'effectue sur une période supérieure à 3 ans, l'accord prévoit une limite hebdomadaire, supérieure à 35 heures, au-delà de laquelle les heures de travail effectuées au cours d'une même semaine constituent en tout état de cause des heures supplémentaires dont la rémunération est payée avec le salaire du mois considéré.

A défaut d'accord, l'employeur pourra mettre en place, dans des conditions fixées par décret, une répartition de la durée du travail sur plusieurs semaines :

  • dans la limite de 9 semaines pour les entreprises employant moins de 50 salariés ;

  • dans la limite de 4 semaines pour les entreprises de 50 salariés et plus.

Cet aménagement unilatéral par l'employeur existe actuellement, mais dans la limite de 4 semaines (article D. 3122-7-1 du code du travail).

Les conventions de forfait en heure ou en jours sur l'année sont sécurisées (art. 2 et 5)

L'accord collectif qui met en place les conventions de forfait en heures ou en jours sur l'année contient aujourd'hui 3 clauses obligatoires : les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait, la durée annuelle de travail à partir de laquelle le forfait est établi, et les caractéristiques principales de ces conventions (article L. 3121-39 du code du travail).

Afin de sécuriser les dispositifs, deux nouvelles clauses sont ajoutées : la période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs ; et les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées ou départs en cours de période (article L. 3162-1 I, nouveau).

Par ailleurs, l'accord autorisant la conclusion de conventions de forfait en jours déterminera (article L. 3162-1 II, nouveau). :

  • les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge du salarié ;

  • les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur sa charge de travail, et l'articulation entre sa vie personnelle et professionnelle, sa rémunération et l'organisation du travail dans l'entreprise ;

  • les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.

A défaut d'accord sur les deux premiers points, une convention individuelle de forfait-jours pourra être conclue si l'employeur : établit un document de contrôle des jours travaillés, s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec les temps de repos quotidiens et hebdomadaires, organise une fois par an un entretien avec le salarié pour échanger sur sa charge de travail, l'articulation entre sa vie personnelle et professionnelle, et sa rémunération (article L. 3162-63 nouveau).

A défaut de stipulation dans l'accord sur le droit à la déconnexion, les modalités d'exercice par le salarié de ce droit seront définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins 50 salariés, ces modalités devront être conformes à la charte d'utilisation des outils numériques.

Par ailleurs, des mesures sont prévues pour les accords existants. Les nouvelles clauses rendues obligatoires par la loi (période de référence du forfait, conditions de prise en compte des arrivées, départs ou absences en cours de période, et le droit à la déconnexion) ne s'imposeront pas aux accords déjà conclus. Par ailleurs, pour les accords qui seront révisés pour se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions du code du travail, il n'y aura pas lieu de requérir l'accord du salarié pour poursuivre la convention de forfait en heures ou en jours. Et, les conventions individuelles de forfait-jours existantes continueront de produire effet, dès lors qu'elles respectent les dispositions du nouvel article L. 3162-63 précité ; de nouvelles conventions de forfait pouvant également être conclues sur les bases de ces accords.

Possibilité de déroger au repos quotidien de 11 heures (art. 2)

La possibilité de déroger au repos quotidien de 11 heures reste inchangée.

Elle sera, comme aujourd'hui, possible, en cas d'urgence, d'accord d'entreprise ou de surcroît exceptionnel d'activité, dans des conditions déterminées par décret.

Dérogations accordées par le maire au repos dominical (art. 2)

Actuellement, le maire peut décider, après avis du conseil municipal, de déroger au repos dominical 12 dimanches par an (loi Macron du 6 août 2015). La liste de ces dimanches est arrêtée avant le 31 décembre, pour l'année suivante (article L. 3132-26 du code du travail). Le projet de loi travail prévoit la possibilité de modifier cette liste dans les mêmes formes en cours d'année, au moins deux mois avant le premier dimanche concerné par cette modification, ce qui n'était pas possible jusqu'à présent.

Réécriture de la partie du code consacrée aux congés payés (art. 2)

Comme pour la durée du travail, le projet de loi réécrit toute la partie du code consacrée aux congés et distingue les dispositions d'ordre public, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives qui s'appliquent à défaut d'accord. Ainsi, si le fractionnement des congés payés reste d'ordre public, la prise de 12 jours de congés entre le 1er mai et le 31 octobre de chaque année, comme l'octroi de jours supplémentaires de fractionnement deviennent des dispositions supplétives.

Le projet de loi prévoit la possibilité de prendre des congés payés dès l’embauche : il s’agit d’assouplir les effets de la période de référence sans la supprimer, ni modifier les règles générales relatives aux droits à congés ou les prérogatives des employeurs.

A défaut d'accord collectif fixant l'ordre des départs en congés, le projet de loi prévoit un nouveau critère à prendre en compte : la présence au foyer d'un enfant ou d'un adulte handicapé ou d'une personne âgée en perte d'autonomie. Dans ce cas, le salarié pourra également déroger aux règles de fractionnement des congés et prendre plus de 24 jours ouvrables en une seule fois.

Par ailleurs, l'indemnité de congés payés sera due même en cas de faute lourde, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2016.

Les autres dispositions du code du travail sur les indemnités de congés payés et les caisses de congés payés restent identiques à celles d'aujourd'hui ; elles sont simplement recodifiées.

Regroupement des congés spécifiques (art. 3)

Le texte regroupe les congés spécifiques autour de 3 thématiques :

  • les congés d'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle où l'on retrouve les congés pour événements familiaux, le congé de solidarité familiale, le congé de proche aidant et le congé sabbatique ;

  • les congés pour engagement associatif, politique ou militant qui regroupent le congé de formation économique et sociale et de formation syndicale, le congé mutualiste de formation, le congé de participation aux instances d'emploi et de formation professionnelle ou à un jury d'examen... ;

  • le congé pour création ou reprise d'entreprise.

La durée de chaque congé, le nombre de renouvellements possibles, les conditions d'ancienneté pour en bénéficier si elles existent et les délais de prévenance relèvent de la négociation collective. Le principe des congés reste, mais leur durée ne relève plus de l'ordre public. A défaut d'accord, les dispositions supplétives prennent le relais et sont identiques à celles prévues aujourd'hui pour l'ensemble de ces congés.

Seule exception, les congés familiaux. Leur durée, prévue par accord, ne pourra pas être inférieure aux dispositions légales supplétives. Par ailleurs, en cas de décès d'un enfant, le congé est porté à 5 jours au lieu de 2, et en cas de décès d'un proche, la durée du congé est désormais fixée à 2 jours, alors qu'elle est d'une journée actuellement dans certains cas.

La période légale de protection contre le licenciement pour les mères à l’issue de leur congé de maternité passe de 4 à 10 semaines (art. 3 bis)

Conformément à la proposition de loi adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 mars dernier, la période légale de protection contre le licenciement pour les mères à l’issue de leur congé de maternité passe de 4 à 10 semaines. Cette période de protection s’appliquerait également au second parent qui en bénéficie à compter de la naissance de l’enfant ainsi qu’aux parents adoptants. Par ailleurs, le point de départ de cette protection serait reportée à l’expiration des congés payés, quand ces derniers sont pris directement après le congé de maternité, comme l’a précisé la Cour de cassation dans une décision du 30 avril 2014.

Eleonore Barriot Actuel CE (Lire l’article original)