Projet de loi Travail : les modifications apportées par le Sénat avec l'aval du gouvernement

Posté le 28 juin 2016 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

 

 

Le Sénat a achevé dans la nuit de vendredi à samedi l'examen du projet de loi Travail. Le texte a été profondément remanié. Néanmoins, le gouvernement a profité de cet examen pour insérer certaines mesures, notamment les préconisations du CESE sur le dialogue social, et d'autres ont été adoptées avec son aval. Détail de ces dispositions intégrées au projet de loi.

Les sénateurs se prononcent aujourd'hui sur le projet de loi travail dont ils ont modifié les contours. Le texte sort en effet considérablement modifié de celui adopté à l'Assemblée nationale le 12 mai,mais reste assez proche du texte issu de la commission des affaires sociales au Sénat dans lequel les Sénateurs avaient prévu par exemple la fin des 35 heures, le regroupement de toutes les IRP des entreprises ou encore le maintien de la règle de 30% pour la validité des accords collectifs.

Le gouvernement et/ou les députés devraient donc très certainement reprendre la main, si la commission mixte paritaire, qui se réunit également ce soir à 19 heures, échouait, ce qui est probable (*). La nouvelle lecture à l'Assemblée devrait avoir lieu à partir du 5 juillet. Nous récapitulons néanmoins les dispositions de la loi adoptées par le Sénat avec avis favorable du gouvernement ou issues d'amendements gouvernementaux qui sont donc susceptibles de prospérer dans le projet de loi.

Inscription du principe de neutralité dans le règlement intérieur par accord d'entreprise (article additionnel après l'article 1er)

Les sénateurs ont proposé d'inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur, avec l'avis favorable du gouvernement. Cela supposera au préalable un accord d'entreprise. Le règlement intérieur pourra ainsi contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant les manifestations des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.

Durée du travail et congés payés

L'esprit de l'article 2 n'a pas été modifié. La primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche reste la règle. Les sénateurs apportent néanmoins des retouches importantes au texte comme la possibilité de déroger au seuil minimum de 24 heures pour le temps partiel, ou en donnant aux entreprises la possibilité de revenir à 39 heures. Ces modifications ont peu de chance de rester dans le texte final. Un amendement du gouvernement, rejeté par les sénateurs, ayant notamment voulu rétablir la durée légale à 35 heures.

D'autres modifications ont toutefois reçu l'aval du gouvernement :

  • le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail peut faire l'objet d'une contrepartie sous forme de repos lorsqu'il est majoré ou rendu pénible du fait d'un handicap ;

  • comme aujourd'hui, la possibilité pour l'employeur de recourir à des horaires individualisésreste possible si cela répond à la demande de certains salariés ;

  • lorsque le travail de nuit est incompatible avec des obligations familiales impérieuses, notamment avec la garde d’un enfant ou la prise en charge d’une personne malade chronique, handicapée ou dépendante, le refus du travail de nuit ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement  ;

  • deux jours de congés payés supplémentaires sont octroyés aux salariés ayant un enfant en situation de handicap ;

  • pas de possibilité de déroger à la période annuelle de congés fixée par la branche pour les secteurs où des caisses de congés payés ont été mises en place comme le bâtiment par exemple.

Congés spécifiques (article 3)

Le regroupement des congés spécifiques autour de trois thèmes reste également inchangé.

La seule modification concerne les congés familiaux. Le congé en cas de décès d'un proche est porté à trois jours, alors que le texte initial n'en prévoyait que deux, et le bénéfice du congé est étendu au décès du concubin du salarié, et plus seulement au décès du conjoint et du partenaire lié par un pacte civil de solidarité. Par ailleurs, un nouveau congé de deux jours est créé en cas d'annonce de la survenue d'un handicap chez un enfant.

Harmonisation des notions de jours en droit du travail (article 5 bis)

La loi de simplification de la vie des entreprises du 20 décembre 2014 avait prévu qu'une ordonnance harmoniserait la définition et l'utilisation des différentes notions de jours en droit du travail et de la sécurité sociale : jours ouvrés, ouvrables, francs, calendaires. Cette ordonnance devait être prise dans un délai de neuf mois, et cela n'a pas été le cas. Le projet de loi prévoit donc que dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation du projet de loi Travail, le gouvernement remette un rapport sur ce sujet.

Préconisations du CESE sur le développement de la culture du dialogue social

Le projet de loi intègre plusieurs préconisations du CESE sur le développement de la culture du dialogue social :

  • les accords sur la méthodologie de la négociation sont enrichis. Ils définissent les principales étapes du déroulement des négociations et incitent les partenaires sociaux à attribuer des moyens spécifiques aux représentants syndicaux lorsque cela est justifiée par les négociations envisagées. Ces moyens pourront par exemple prendre la forme d'une expertise ou de crédits d'heures supplémentaires (article 7) ;

  • le gouvernement remettra au Parlement avant la fin de l'année un rapport explorant les voies pour valoriser et promouvoir le dialogue social. Ce rapport intégrera une réflexion sur les rôles des instances consultatives et les pistes pour améliorer le cadre de la négociation interprofessionnelle (article 7 D) ;

  • dans un délai d'un an suivant le promulgation du projet de loi Travail, le gouvernement réalise avec les partenaires sociaux un bilan de la mise en oeuvre de la BDES (base de données économiques et sociales). Ce rapport portera également sur l'articulation entre la base de données et les autres documents d'information obligatoires relatifs à la politique économique et sociale de l'entreprise (article 9 ter) ;

  • dans un délai d'un an à compter de la promulgation du projet de loi Travail, le gouvernement remet un rapport sur l'état des discriminations syndicales en France sur la base des travaux réalisés par le Défenseur des droits. Ce rapport fait état des bonnes pratiques observées dans les entreprises pour lutter contre ces discriminations (article 16 ter) ;

  • sur la base des travaux du CESE, le gouvernement remet tous les 5 ans au Parlement un bilan qualitatif sur l'état du dialogue social en France (article 20 quater) ;

  • le rapport présenté au conseil d'administration ou au directoire fait état des accords collectifs conclus dans l'entreprise et de leurs impacts sur la performance économique de l'entreprise ainsi sur les conditions de travail des salariés (article 20 ter).

Part des femmes et des hommes dans les conseils d'administration intégrée dans la BDES (article 9)

Devra être intégré dans la BDES la part des femmes et des hommes dans les conseils d'administration. Par ailleurs, le rapport sur la RSE devra être intégré dans la base de données.

Rupture du contrat de travail du salarié qui refuse de se voir appliquer un accord offensif (article 11)

Le salarié qui refuse de se voir appliquer un accord offensif est licencié individuellement pour motif économique. Ce licenciement n’ouvre pas droit au reclassement, contrairement aux licenciements économiques collectifs, mais à un accompagnement personnalisé auprès de Pôle Emploi. Un amendement précise que l'adhésion du salarié à ce parcours emporte rupture du contrat de travail. Par ailleurs, la rupture du contrat de travail n'entraîne pas le versement au salarié d'indemnité compensatrice de préavis.

Restructuration des branches (article 14)

Pendant une durée de cinq ans à compter du regroupement ou de la fusion du champ d’application des conventions collectives d’une branche avec celui d’une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues, les branches pourront maintenir plusieurs conventions collectives avec leurs identifiants. Au bout de ces cinq ans au plus tard, ces conventions collectives ne seront plus maintenues. Elles pourront être pour tout ou partie intégrées dans des annexes, pourvu que la branche se dote d’une convention collective qui sera son socle commun.

Répartition du budget des activités sociales et culturelles entre comités d'établissement (article 18 ter)

Aujourd'hui, la répartition de la subvention entre les comités d'établissement se fait en fonction de la masse salariale, ce qui avantage les établissements avec de hauts revenus de cadres par exemple. Un amendement prévoit la possibilité de faire cette répartition aussi en fonction des effectifs.

Personnes bénéficiaires du contrat de professionnalisation (article 33)

Aux bénéficiaires actuels du contrat de professionnalisation sont ajoutés les salariés inaptes et les salariés reconnus travailleurs handicapés, à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2017.

Visite médicale du salarié qui a un risque d'inaptitude (article 44)

Le Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) a suggéré d’introduire la possibilité pour le salarié de bénéficier, dès la présomption d’inaptitude, d’un accompagnement personnalisé permettant la sécurisation de son parcours professionnel. A cette fin, un amendement prévoit que tout salarié a la possibilité de solliciter une visite médicale lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude dans l’objectif d’engager une démarche de maintien dans l’emploi.

Suivi médical du travailleur de nuit (article 44)

Un suivi individuel régulier de l'état de santé des travailleurs de nuit est prévu. Il sera modulé en fonction des situations individuelles particulières et notamment l’âge et l’état de santé du travailleur ainsi que les particularités du poste occupé. Sa périodicité sera fixée par le médecin du travail, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

(*) Alors que les syndicats opposés au projet de loi manifestent aujourd'hui une nouvelle fois à Paris, le Premier ministre et la ministre du Travail ont annoncé hier qu'ils recevront demain et jeudi l'ensemble des partenaires sociaux pour faire un point sur les désaccords sur le texte, avant donc que celui-ci ne revienne en deuxième lecture devant l'Assemblée.

Eleonore Barriot http://www.actuel-ce.fr/  (lire l’article original)