Maîtrise des risques : et si l’on faisait (un peu plus) confiance aux salariés ?

Posté le 27 mai 2016 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

 

Du travail collectif au collectif de travail : une ergonome explique pourquoi et comment les employés, ceux qui connaissent le travail, peuvent contribuer à l'amélioration de la gestion des risques, y compris industriels. À condition qu’on les laisse échanger.

Comment nous organisons-nous collectivement pour agir et garder le contrôle au travail, même lorsque la situation est imprévue ? Qu’est-ce qui permet à une équipe de coopérer face aux risques ? C’est à ces questions (parmi d’autres) qu’a tenté de répondre l’ergonome Lucie Cuvelier dans un ouvrage récemment publié par la Foncsi, la fondation pour une culture de sécurité industrielle. Dans "Agir face aux risques, le regard de l’ergonomie", la chercheuse explique qu’il y a généralement deux façons de voir le lien collectif-gestion des risques. La version verre à moitié vide : on considère que le collectif engendre de nouveaux risques – liés à la mauvaise communication entre les salariés par exemple –. Et la version verre à moitié plein, qui veut que le collectif soit synonyme de davantage de détection et de correction d’erreurs. C’est cette vision-là que défendent Lucie Cuvelier et les ergonomes dont elle a épluché le travail.

Des régulations collectives au quotidien

Pour la chercheuse, qui dit travail collectif dit "régulations collectives qui contribuent à la gestion des risques, en situation naturelle". C’est à dire quand aucun risque majeur ne se présente à l’horizon. Exemple dans les hauts-fourneaux, où l’on a observé que les fondeurs changeaient parfois de stratégie selon la composition de l’équipe en terme d’âge et d’expérience. "On se répartit les tâches pour réduire la pénibilité des plus âgés, économiser la matière utilisée, anticiper un accident potentiel", observe Lucie Cuvelier. Et quand un risque se présente pour de vrai ? Elle évoque les équipes du Samu, qui déploient des stratégies leur permettant de s’économiser quand le risque est là afin d’essayer de le maîtriser sur la durée. Ce qui implique de nombreuses coopérations à l’intérieur de l’équipe, de la communication verbale ou pas, et des outils parfois. Revers de la médaille : faire confiance à ces régulations collectives implique pour les employeurs ou les managers de "laisser de la souplesse au système", et de "concevoir une bonne articulation de l’autonomie des groupes avec les contraintes de l’organisation". Les salariés doivent pouvoir procéder de plusieurs façons, et opter pour le mode de coopération qu’ils estiment le plus adapté selon les situations. Pas simple, quand on a des processus de coopération centralisés.

Savoirs-faire de prudence et règles de l’art

À côté du travail collectif, il y a ce que Lucie Cuvelier appelle le "collectif de travail"... Soit "plusieurs travailleurs, une oeuvre commune, un langage commun, des règles de métier et le respect durable des règles par chacun". Ce qui est déjà beaucoup plus rare que les cas de travail collectif. Parmi les "règles de métiers" partagées par les membres de tels collectifs, on trouve des "savoirs-faire de prudence" et des critères communs pour gérer correctement la "sécurité ordinaire". Les agents de maintenance ont par exemple "des règles d’ultime vérification, de redondance et de contrôle du rythme de travail qui s’appliquent en situation normale de travail pour éviter l’émergence d’évenements susceptibles de dégrader la sécurité". De même dans l’industrie, les opérateurs sont capables en repérant les zébrures sur la matière chaude, de savoir avec quelle rapidité le processus va évoluer et peuvent ainsi éviter "l’emballement d’une réaction chimique". Grâce au partage de critères sur la qualité et la "sécurité du travail ordinaire", les membres du collectif développent et portent tous ensemble un "point de vue commun". Il leur permet de mieux gérer les "déviations" par rapport aux règles courantes et de "traiter les situations hors-normes". Pour maintenir ce type de collectif ou le faire émerger quand cela est possible, l’ergonome juge particulièrement indispensable la création d’espaces de discussion pour les salariés.

Gare au silence organisationnel !

Surtout, l’encadrement doit "s'ouvrir" à ce que fait chacun au quotidien, et pas seulement en situation de crise. Car au jour le jour, au contact du collectif, le salarié développe "une connaissance fine" non seulement du travail mais aussi de la gestion des risques. De quoi rajouter du savoir au savoir collectif en la matière, et donc d'augmenter le niveau de sécurité dans l’entreprise. Gare au "silence organisationnel" qui empêcherait ces connaissances de croître, prévient l’ergonome. Si l’on n’outille pas ces savoirs professionnels pour qu’ils continuent à être transmis, ou si l’on empêche le travailleur de les acquérir, "on génère des risques pour le système" dit-elle carrément. Sauf qu’en finir avec ce silence-là passe par un changement de paradigme pour les employeurs. À savoir percevoir le travailleur comme un individu engagé dans son travail, créatif, susceptible d’évoluer dans le temps et d’être différent de son voisin pourtant nommé pour exécuter les mêmes tâches. Puis utiliser ces potentialités dans la gestion des risques.

Claire Branchereau http://www.actuel-hse.fr/

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