L'évolution de notre vision du burn-out

Posté le 4 mai 2016 | Dernière mise à jour le 8 juin 2020

L'évolution de notre vision du burn-out
 

 

L’éveil des consciences

Rappelez-vous, il y a une quinzaine d’années, de rares personnes parlaient du burn-out en Suisse, aucun média n’évoquait le phénomène, médicalement, cette souffrance au travail n’était pas identifiée de façon spécifique, elle était simplement associée à des troubles dépressifs et prise en charge comme une dépression par les professionnels. De nombreuses victimes ne comprenaient pas ce qui leur arrivait, elles vivaient ce passage difficile comme un échec de carrière, une fragilité psychique honteuse.

Aujourd’hui, le burn-out est connu dans le grand public, c’est même un terme utilisé dans le langage courant, comme il est dit parfois : « je déprime », ce n’est pas une dépression, simplement une baisse de moral, on entend maintenant : «aujourd’hui je me fais un burn-out, demain cela ira mieux ! », c’est une façon d’exprimer une période de stress et de fatigue, ce n’est pas un réel burn-out.

Le progrès est énorme en peu de temps, maintenant nous sommes tous conscients du risque d’épuisement au travail, notre compréhension scientifique de cette souffrance évolue, les moyens de prévention et de traitement se développent et sont mieux connus, les entreprises et les institutions prennent des mesures concrètes pour dépister et prévenir cette souffrance au travail.

L’évolution de notre compréhension du burn-out

Historiquement, le burn-out a été nommé est défini dans les années 1970 aux Etats-Unis par un psychiatre américain, le Dr. Freudenberger. A cette époque, il avait identifié une sorte de syndrome d’épuisement chez certains travailleurs sociaux. Il l’a nommée la « maladie de l’idéalité ».  Le burn-out était considéré comme une atteinte à la santé qui n’existait que dans les professions sociales, un idéal irréaliste en était la principale cause. Nous savons maintenant que le burn-out ne touche pas uniquement les professions de la relation d’aide. Toute profession est à risque et les causes sont multifactorielles. L’idéal irréaliste n’est qu’un facteur de risque parmi d’autres.

Aujourd’hui, en Suisse, le burn-out n’est toujours pas une pathologie reconnue officiellement dans les classifications médicales. Certaines assurances maladies refusent ce terme comme diagnostic. Le burn-out est un thème de discussion dans les milieux de la médecine, il est défini dans les classifications médicales internationales comme diagnostic « accompagnant » et non pas principal, sous les termes suivants : « ICD-10: Z 73.0 Syndrome du burn-out :Problèmes liés aux difficultés à faire face aux réalités de la vie » (ICD, International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems, système de classification des maladies de l’OMS)

La façon la plus simple de comprendre le processus du burn-out est de le voir comme 

un épuisement dû au stress chronique au travail.

Les recherches actuelles se concentrent principalement sur la composante physiologique de l’épuisement et non pas sur une éventuelle fragilité psychique. Certains chercheurs étudient les effets toxiques des hormones de stress sur l’organisme. Des marqueurs biologiques sont identifiés, il sera peut-être bientôt possible d’avoir un test organique qui mesure la gravité de l’épuisement dû au stress.

La méthode d’analyse du terrain favorisant le burn-out est de chercher le déséquilibre entre d’un côté trop de dépense d’énergie (dans le travail stressant et les tâches/situations usantes) et pas suffisamment de récupération d’un autre côté (manque de ressources au travail, une perte de sens ou une mauvaise ambiance d’équipe, et un manque de ressources dans la vie privée par exemple la façon de se défouler ou de se changer les idées, etc.). Cette vision entre trop d’usure et de stress et une récupération insuffisante est utile autant dans la prévention que lors du traitement du burn-out.

Pour faire le point, le meilleur self-test actuel est l’auto évaluation HBI développée par le professeur Mathias Burisch, spécialiste allemand du burn-out (Test en ligne en français sur le site internet www.noburnout.ch) Pour aller plus loin dans le bilan, il est important de consulter un professionnel qui connaît le traitement spécifique du burn-out.

L’évolution de l’étendue de cette souffrance en Suisse ?

Selon les enquêtes récentes, nous pouvons observer que les Suisses souffrent davantage du stress au travail aujourd’hui. Deux études sur la fréquence du stress chez les personnes actives en Suisse ont été réalisées à 10 ans d’intervalle par le SECO : un Suisse sur trois se sent «souvent voire très souvent stressé au travail». Ce chiffre est en augmentation depuis 10 ans ; entre 2000 et 2010, le nombre de personnes souffrant de stress chronique est passé de 26,6% à 34,4 %.

Concernant le burn-out qui est un syndrome d’épuisement consécutif à un stress chronique, les statistiques sont moins claires. Un indicateur significatif du burn-out a été relevé : le sentiment d’épuisement émotionnel. Selon ce même rapport de l’office fédéral de la statistique, au total, 4 % des personnes interrogées (échantillon d’un millier de personnes) ont affirmé se sentir épuisées émotionnellement au travail.

Nous pourrions déduire du résultat de ces enquêtes que le stress chronique touche 34,4 % des travailleurs en Suisse mais que seul 4 % souffriraient effectivement d’un burn-out. Par contre, nous n’avons aucun chiffre valable et représentatif qui nous permettrait de connaître le détail des victimes du burn-out en Suisse : quelles professions seraient les plus touchées, quels âges à risque, la proportion d’homme et de femme, le niveau hiérarchique, le secteur économique ou la taille de l’entreprise.

Malheureusement ces études sont probablement loin de cerner la véritable ampleur du burn-out en Suisse. Les médecins et psychologues observent une aggravation tant au niveau du nombre de consultations qui augmente que au niveau du degré de gravité des personnes épuisées ces dernières années. Les médecins (Selon l’enquête Chiarini et al. 2010: Practices et besoin des médecins du premier recours en santé au travail en Suisse romande, 806 médecins interrogés) estiment en moyenne que sur 100 nouveaux diagnostics posés, 14.4% sont en lien avec le travail du patient. Les pathologies rencontrées le plus fréquemment sont :

- les troubles psychiques liés au travail, cités par 93%

- le mal de dos (70%),

- les autres TMS (29%),

- les dermatoses (26%) et les problèmes respiratoires (18%).

L’évolution de la prévention individuelle et du dépistage

Aujourd’hui, il devient très rare d’occuper un poste de travail « cool », avec un rythme tranquille et sans stress. La vie professionnelle est exigeante, nous faisons face à de nombreuses contraintes qui nous mettent sous une constante pression. Il est indispensable de savoir se préserver et de protéger notre santé au travail. Maintenant que le burn-out est largement connu, nous sommes avertis du risque, de plus en plus de personnes cherchent à mettre en place une prévention efficace. Les moyens sont accessibles et de plus en plus pratiqués : apprendre à décharger les tensions et le stress, diminuer les exigences personnelles, poser des limites, cadrer les ruminations mentales, savoir demander de l’aide, avoir un bon réseau de soutien, protéger sa vie privée des soucis professionnels, savoir gérer les nouvelles technologies. Chacun d’entres-nous avons une marge de manœuvre individuelle, sans changer les conditions de travail, nous pouvons mettre en place une prévention efficace.

L’évolution d’une prise en charge adéquate et d’un traitement spécifique

Depuis des décennies, étant associé à une forme de dépression, le burn-out n’a pas été traité de façon différenciée. Mal soignés, l’état de santé des victimes de burn-out ne s’améliorait que très lentement, l’arrêt de travail durait 6 mois ou davantage encore, la guérison était partielle, la personne conservait une forme de fragilité, le retour au travail était laborieux, l’entreprise ne faisait plus confiance en ce travailleur qui semblait rester vulnérable au stress.

Aujourd’hui, les médecins et psychologues se forment au traitement spécifique du burn-out, la prise en charge s’améliore, l’arrêt de travail est moins long (durée habituelle de 2 à 3 mois), la reprise du travail est mieux suivie, les victimes de burn-out bénéficient d’un réel apprentissage, d’une analyse spécifique, d’un plan d’action des mesures à prendre lors du retour au travail.

Le traitement du burn-out comporte 3 phases. L’objectif de la première étape est de remonter le niveau d’énergie, il s’agit d’agir pour retrouver un bon sommeil et d’avoir au moins une heure d’activité physique par jour. L’idée est de renforcer les ressources et de limiter tout ce qui peut stresser ou prendre de l’énergie au patient. Dans la deuxième phase, il s’agit d’approfondir l’analyse des sources d’épuisement et de comprendre comment agir autrement pour rétablir un nouvel équilibre de vie. Des mesures sont mises en place dans la vie privée, un plan d’action est construit pour le retour au travail. La troisième étape du traitement est la reprise du travail qui fait partie intégrante du processus de guérison. Ce n’est qu’une fois confronté à l’environnement stressant, que le patient peut expérimenter les outils de protection et reprendre confiance en ses compétences.

L’évolution de la prévention et de la mobilisation de l’entreprise

Depuis une dizaine d’années, les entreprises se mobilisent davantage pour mettre des mesures de prévention en place. Le burn-out et ses conséquences sur l’efficacité au travail sont mieux connus, cela peut être mesuré sur une échelle collective, les dirigeants réalisent que le burn-out peut leur coûter très cher, en terme de diminution de la performance et d’absence prolongée de collaborateurs précieux.

Lorsque j’interviens dans une organisation, mon objectif n’est pas de viser 0% de burn-out, ce qui me paraît irréaliste mais je vais insister sur le dépistage précoce : prendre en charge les collaborateurs surmenés avant qu’un arrêt de travail soit nécessaire : ils sont suffisamment en alerte pour être motivés à changer et pas trop épuisés, ils ont encore des forces à disposition pour retrouver un équilibre de santé.

Une bonne démarche de prévention commence par informer tous les niveaux hiérarchiques du haut vers le bas sur ce qu’est le burn-out, les signes d’alerte, le profil type de personne à risque, le terrain favorable, la procédure à suivre si on se sent en déséquilibre. Cette information permet de briser le tabou, de savoir précisément ce qu’il en est et aussi d’éviter les exagérations ou les minimisations.

Une formation spécifique sera destinée aux cadres et responsables d’équipe. Les chefs de proximité sont les agents importants du dépistage précoce et ils peuvent agir concrètement en créant des « bulles de prévention » spécifiques à leur équipe. Un chef bien formé pourra apporter des actions très concrètes aux collaborateurs pour les préserver de l’épuisement.

Il faut aussi en parallèle faire remonter l’information en interne vers les professionnels de la santé de l’entreprise : combien de cas de burn-out avérés, analyse de chaque cas, quelles actions proposées par les chefs de proximités pour améliorer les conditions de travail qu’ils ne peuvent pas changer d’eux-mêmes.

La recherche d’une meilleure qualité de vie : revenir à l’essentiel

Un des grands challenges de notre société à l’avenir sera de sortir de cette forme de « survie » du devoir à accomplir, de performance et de la suractivité, pour se réapproprier l’innocence de pouvoir perdre du temps, nous rendre disponible aux moments précieux de notre quotidien, prendre le temps avec nos proches, avec ce qui est réellement important pour nous. Commencer la journée par un acte qui nourrit notre essentiel et ne pas donner le 100 % de notre énergie à la sphère professionnelle, préserver la marge que nous avons choisie pour investir notre vie. C’est une vigilance de chaque instant à entretenir, être présent à soi et à ce qui nous tient à coeur, personne ne peut le faire à notre place.

Catherine Vasey (hebdo.ch)