Les parades des salariés face aux incertitudes au travail

Posté le 17 février 2014 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

Alors qu'ils sont exposés aux "tensions au travail", une part significative des salariés ne se révoltent pas. Pourquoi?

Un collectif de sociologues montrent à travers treize enquêtes menées dans les secteurs d'activité les plus divers ce que les salariés mettent en place pour "tenir". Et la force du lien social, même en entreprise.

Des ouvriers, des employés, des techniciens, des cadres, du privé comme du public, dans les secteurs de la santé, de l'aéronautique, de la construction automobile, du transport ferroviaire ... Tous développent des systèmes de défense pour se protéger face aux insécurités liées à leur travail. Dans un livre de près de deux cents pages, intitulé Les salariés de l'incertitude, un groupe de chercheurs du Laboratoire interdisciplinaire des sociologies économiques (CNAM-CNRS) met en lumière ces fameuses clés de la résistance qui viennent en réponse à des contextes organisationnels chahutés. A travers treize enquêtes de terrain, 700 entretiens de salariés menés de 2002 à 2008, auprès d'un large éventail de catégories socio-professionnelles, il montre que la protection des individus se fabrique surtout dans "la vitalité persistante du lien social au travail".

Temps incertains

C'est le cas des professionnels du nucléaire : pour pallier l'incertitude liée à l'articulation de leur temps de travail et de leur temps personnel, ils s'organisent de manière informelle avec leur hiérarchie. Les médecins libéraux amorcent, eux, des stratégies de regroupement pour mieux maîtriser les flux de patients et bénéficier de davantage de temps loin du cabinet. Il s'agit dans tous les cas de construire un équilibre, malgré tout, que détaillent minutieusement les auteurs. Point important, selon eux : cet équilibre s'opère le plus souvent à un niveau microscopique des organisations. Ce besoin de coopération survient aussi lors des changements organisationnels ou institutionnels. Les repères sont en effet fréquemment remis en cause par le renouvellement des dispositifs de gestion et par les conséquences des refontes de l'organisation (fusion, absorption, délocalisation de services). Dans le secteur aéronautique notamment, la concurrence va croissante et induit des réorganisations constantes. Pour y parer, outre la solidarité, des ingénieurs, chefs de service, ont eu l'idée, ensemble, de s'approprier, des outils de gestion telles que les démarches qualité ZD (Zéro défaut) et MDS (Management des suggestions). Avec, ils tentent de lutter contre le "non sens" de leur situation professionnelle constamment troublée.

Ô miroir, mon beau miroir

"Il me manque de respect", "je me sens trahi", "un bouche-trou", "un numéro", "je me sens humilié". C'est une autre insécruité constatée par les sociologues, qui donne lieu, également, à des résistances solidaires en entreprise : le risque de non reconnaissance. Les salariés recourent en effet massivement au langage de la reconnaissance pour qualifier les dimensions critiques de leur rapport au travail. "C'est que, expliquent les chercheurs, contrairement à ce qui pu être annoncé parfois, le travail reste une scène décisive de construction de soi". Il est l'occasion de demander d'obtenir ou de se voir refuser, dans des discours et des actes concrets, la confirmation de sa valeur personnelle et de son identité. Face à cette incertitude, naissent des formes de résistance collective, mais aussi individuelle. C'est l'infirmière qui s'investit pour "ses" patients, le chef avion pour "ses" vols ou "son"équipe de bord. L'un comme l'autre cherche à se préserver un espace vital de reconnaissances. C'est aussi le cas des inspecteurs du travail qui se battent de leur côté, ensemble, pour préserver une identité vécue comme menacée.

"Indéfectibles solidarités"

A travers les treize enquêtes, les auteurs démontrent ainsi l'importance des relations sociales autonomes qui protègent les individus de l'insécurité. Ce que les auteurs traduisent par les "indéfectibles solidarités" professionnelles de proximité. C'est parce qu'elles ne sont pas proscrites par l'organisation, mais librement décidées par des individus que ces solidarités prennent le sens d'un projet. "Les liens qui se nouent, même temporairement, appartiennent fondamentalement à ceux qui les construisent et nourrissent dans le même temps leur sentiment d'humanité", notent les sociologues. Un bémol cependant : ces collectifs d'action se montrent souvent fragiles et réversibles, du fait en particulier, du poids déterminant de la "personne". Ils reposent en effet sur la sollicitation des ressources et capacités personnelles des individus, d'où la révélation d'inévitables inégalités.

Source (par Rosanne Aries, actuel-hse.fr)

Espace CHSCT, plateforme N°1 d'information CHSCT, édité par son partenaire Travail & Facteur Humain, cabinet spécialisé en expertise CHSCT et formation CHSCT