L’employeur peut-il pratiquer des tests salivaires de dépistage de produits illicites ? La réponse d’un tribunal administratif

Posté le 17 septembre 2014 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

Jugement du Tribunal Administratif de Nîmes n°12/01512 du 27 mars 2014.

Conformément à l’article L.6211-1 du Code de santé publique, un examen de biologie médicale est un acte médical. Ne constituent pas un examen de biologie médicale un test, un recueil et un traitement de signaux biologiques, à visée de dépistage, d'orientation diagnostique ou d'adaptation thérapeutique immédiate (article L.6211-3 du même Code).

L’arrêté du 11 juin 2013 détermine la liste des tests, recueils et traitements de signaux biologiques qui ne constituent pas un examen de biologie médicale, les catégories de personnes pouvant les réaliser et les conditions de réalisation de certains de ces tests, recueils et traitements de signaux biologiques.

En l’espèce, dans une démarche de lutte contre la consommation de drogues et d’alcool sur le lieu de travail, une entreprise de BTP décide d’insérer une clause dans son règlement intérieur permettant le recours aux tests salivaires de dépistage de la consommation de produits stupéfiants par le supérieur hiérarchique. En outre ce règlement intérieur prévoit qu’en cas de résultat positif à ce test, le salarié ainsi dépisté pourra faire l’objet de sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’à son licenciement.

Soumis à l’inspecteur du travail, ce dernier enjoint à l’entreprise de modifier de telles dispositions. Il estime en effet qu’un tel test salivaire de dépistage de produits stupéfiants nécessite le recours à un médecin, seul à même de se prononcer sur l’aptitude du salarié sur lequel un résultat positif a été révélé.

Après recours hiérarchique auprès de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), l’entreprise contestant la décision de l’inspection du travail demande au tribunal administratif de l’annuler.

Selon l’entreprise la décision de l’inspection du travail « porte atteinte à son obligation de sécurité de résultat ». Selon elle, le test salivaire de dépistage des produits stupéfiants prévu par le règlement intérieur peut être accompli par un personnel non médical comme un supérieur hiérarchique et ne justifie pas du secret médical. En outre toujours selon l’employeur, de tels tests ne « portent pas atteinte aux libertés individuelles » notamment en ce qui concerne la sanction puisque le règlement intérieur ne prévoit pas de sanction « automatique » en cas de résultat positif.

L’employeur rappelle enfin que conformément à l’article 1321-4, alinéa 1er du Code du travail, l’avis des délégués du personnel a été demandé et ces derniers n’ont pas manifesté d’opposition face à ce règlement intérieur.

Les juges du fond du Tribunal administratif de Nîmes annulent la décision de l’inspecteur du travail aux motifs que le recours à de tels tests réglementairement prévu s’effectue selon des modalités de contrôle aléatoire des salariés. Ces test ne sont en effet réservés qu’aux salariés affectés à des fonctions dites « hyper-sensibles », dont la liste est arrêtée en concertation avec le médecin du travail. Ainsi selon les juges « de telles modalités constituent un contrôle ciblé sur des personnels exposés à la survenue de risques potentiels pour eux-mêmes, des tiers ou l’entreprise ».

Les juges administratifs considèrent ensuite que les conditions dans lesquelles est prévu le recours au test salivaire de dépistage de l’usage de produits illicites répondent aux exigences légales de proportionnalité (articles L.1121-1 et L.1321-3, 2° du Code du travail), dans la mesure où il y a :

  • L’information du salarié ;
  • Le consentement du salarié ;
  • La présence d’un témoin.

Dès lors, selon le Tribunal administratif de Nîmes le règlement intérieur prévoyant le recours à de tels tests, dans ces conditions précitées, ne porte pas atteinte aux libertés fondamentales des salariés. Il peut ainsi prévoir la possibilité de sanctionner un salarié dont le résultat à ce test serait positif.

Par conséquent pour les juges du fond du Tribunal administratif de Nîmes « un test salivaire de dépistage de la consommation de produits stupéfiants qui peut être exécuté par toute autre personne qu’un médecin spécialiste… ne saurait constituer un examen de biologie médicale ».

Réaction d'ISTNF.fr

Il s’agit là d’une décision (et non d’une jurisprudence !) des juges administratifs du fond… qui n’ont pas suivi l’argumentaire de la DIRECCTE lequel rappelait l’avis n°114 du CCNE autorisant ces tests en milieu de travail que sous la responsabilité des services de santé au travail.

En outre nous pouvons souligner plusieurs points qui porteront certainement débat :

  • Les juges administratifs admettent donc la possibilité qu’une personne, autre qu’un médecin, pratique des tests salivaires de dépistage de produits stupéfiants.. sans dire réellement qui peut le faire, contrairement aux recommandations de la MILDECA (2012) et de la SFA-SFMT (2013).
  • Contrairement à la position de la DGT de 2009 qui admettait la possibilité pour une entreprise de pratiquer de tels recours dans une finalité préventive (sous réserves d’une décision de juges … !), le Tribunal administratif admet ici la possibilité d’infliger une sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu’au licenciement) à un salarié dépisté positivement…
  • … Sanction d’autant plus surprenante que le Tribunal administratif n’envisage pas comme substantielle LA condition pourtant considérée scientifiquement comme incontournable au regard du caractère insuffisamment fiables de ces tests salivaires : la contre-expertise, obligatoirement et nécessairement biologique, compte tenu des faux-positifs de ces tests salivaires.

Source : (istnf.fr)

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