Le droit à la déconnexion va devoir faire ses preuves

Posté le 22 septembre 2016 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

A compter du 1 er  janvier 2017, aucun salarié ne pourra se voir reprocher d’avoir coupé ses mails.

Si l'article 8 (ex-article 2) qui donne la primauté aux accords d'entreprise symbolise presque à lui seul la loi travail, étant donné l'opposition qu'il continue de susciter, l'article 55, en revanche, est presque passé inaperçu. Et pourtant, en instaurant à compter du 1er janvier un droit à la déconnexion pour tous les salariés, cet article est potentiellement porteur d'un changement majeur, Internet ayant en quelques années complètement brouillé la frontière entre les vies professionnelle et privée. Selon une étude de l'Apec de fin 2014 citée par le ministère du Travail, à peine 23 % des cadres « débranchent » systématiquement, une fois la lumière de leur bureau éteinte. Près de neuf sur dix estiment que les outils connectés contribuent à les faire travailler hors de l'entreprise.

Face à ce constat, la loi El Khomri prévoit que les entreprises sont tenues de négocier avec les partenaires sociaux un accord fixant les modalités d'exercice par un salarié de son droit à déconnexion. Ceux-ci devront aussi se pencher sur la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques. Faute d'accord, le texte renvoie vers une charte élaborée par l'employeur, « après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ». En résumé, aucun salarié ne pourra se voir reprocher d'avoir coupé son smartphone.

Bruno Mettling, l'ancien DRH d'Orange, qui a remis un rapport sur « transformation numérique et vie au travail » à Myriam El Khomri il y a un an, y voit une « évolution importante ». « Pour la première fois on a anticipé un risque et non pas réagi a posteriori », estime-t-il. Le pire, face à un problème qui prend de l'ampleur en France, aurait été que la Cour de cassation se saisisse d'un cas et que la responsabilité pénale d'un dirigeant soit engagée.

Le rapport, pourtant, allait plus loin. Insistant à la fois sur la responsabilité de l'employeur mais aussi le comportement individuel de chaque salarié, il préconisait à la fois un droit, mais aussi un devoir de déconnexion avec, en toile de fond, la nécessité de bien mesurer la charge de travail. « La recherche de solutions comme la déconnexion relève [...] autant d'une éducation au niveau individuel que d'une régulation au niveau de l'entreprise », avançait-il.

Si la notion de droit est restée dans la loi, celle de devoir, en revanche, n'a pas été retenue, ni les entreprises ni les syndicats n'en voulant. La loi n'est pas allée non plus jusqu'à préciser ce que pourrait être ce droit, renvoyant à la négociation sur le terrain, pour mieux coller aux réalités de chaque entreprise. « On a posé une première pierre. Et si la négociation échoue, renvoyer sur une charte est une bonne chose », juge Bruno Mettling.

Ce n'est pas l'avis de Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT-CGT), syndicat qui a été à la pointe sur la question dès 2014. Le fait que la loi travail s'en saisisse est «montre que nous avons marqué des points », avance-t-elle. Mais le syndicat regrette que nombre de ses propositions faites à Myriam El Khomri soient restées lettre morte.

A ce titre, la charte - c'est-à-dire un document unilatéral de l'employeur - est très mal perçue. « Si l'employeur peut décider unilatéralement, où est l'incitation à conclure un accord ? » interroge Sophie Binet, dubitative, du coup, sur le contenu potentiel des futurs droits à la déconnexion. « On aurait dû y mettre une trêve des mails, au moins pour une période équivalente au temps de repos du salarié », regrette-t-elle.

Alain Ruello

@AlainRuello

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