La faute inexcusable et ses conséquences

Posté le 20 août 2013 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctLe salarié victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle peut se prévaloir d’une faute inexcusable commise par son employeur. La reconnaissance de ce caractère spécifique suppose que certaines conditions soient réunies, mais dès lors que tel est le cas, celui-ci emporte des effets notables sur l’indemnisation du salarié.

L’OBLIGATION DE SÉCURITÉ DE RÉSULTAT PESANT SUR L’EMPLOYEUR

L’employeur est titulaire d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard des salariés de son entreprise, ce qui suppose concrètement que le résultat visé soit atteint et non simplement que les moyens aient été mis en oeuvre pour tenter d’y parvenir. Force est de constater que de 1898 à nos jours, son appréciation n’a cessé d’évoluer, afin d’assurer une prise en charge la plus adéquate possible du préjudice subi par les salariés victimes.

L’employeur qui manque à son obligation de sécurité de résultat commet une faute qui peut, le cas échéant, être qualifiée d’inexcusable, dès lors que le salarié cherche à obtenir une indemnisation complémentaire à celle versée en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Ce sont plus précisément les articles L. 452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale qui énoncent les conditions dans lesquelles ces compléments d’indemnisation peuvent être obtenus.

LES CRITÈRES DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Concernant l’appréciation du danger, l’employeur est considéré comme étant un professionnel averti. Toutefois, les juges prennent en compte plusieurs paramètres comme les circonstances de l’accident, la formation, l’expérience professionnelle, la réglementation, les habitudes dans la profession concernée, la nature de l’activité, etc.

Cette nécessaire conscience du danger n’a pas été retenue par les juges lorsqu’une anomalie du matériel en relation avec l’accident n’a pas été détectée (Cass. civ., 4 avr. 2013, n° 12-15.723 ; Cass. soc., 31 oct. 2002, n° 01-20.445), ou encore lorsque la profession du salarié ne le mettait pas en contact direct avec l’amiante et que les connaissances en cette matière à l’époque des faits n’étaient pas celles du moment du jugement (Cass. 2e civ., 31 mai 2006, n° 05-17.737). Elle n’est pas reconnue non plus lorsque le salarié en demande la qualifi cation pour des motifs différents de ceux de la maladie professionnelle retenue par la caisse de sécurité sociale (Cass. 2e civ., 4 avr. 2013, n° 12-13.600), ou en raison de l’absence de la visite médicale d’embauche (Cass. 2e civ., 14 mars 2013, n° 11-27.989).

La Cour de cassation a en revanche retenu la faute inexcusable tout récemment, à propos de l’amiante, en indiquant que l’employeur ne pouvait ni ne devait ignorer le danger et l’absence de mesures pour en préserver le salarié (Cass. 2e civ., 25 avr. 2013, n° 11-28.761 ; Cass. 2e civ., 14 févr. 2013, n° 12-13.610). Les critères sont également réunis lorsque l’employeur n’a pas mis à disposition d’un salarié les moyens nécessaires, formation et/ou chariot élévateur, au port de bobines sur une palette, alors que cette opération comportait un risque dorso-lombaire élevé (Cass. 2e civ., 4 avr. 2013, n° 12-15.920).

Schématiquement, la faute inexcusable sera retenue en cas de négligence de la part de l’employeur. Celle- ci peut être recherchée en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, mais pas en cas d’accident de trajet (Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-16.180).

LA PREUVE DE LA FAUTE INEXCUSABLE

Le principe veut que la faute inexcusable ne se présume pas, sauf en cas de risque signalé à l’employeur et d’absence de formation à la sécurité. Le salarié doit donc apporter la preuve de l’existence de la conscience du danger ainsi que de l’absence de mesures de prévention de la part de l’employeur (Cass. soc., 8 juill. 2004, n° 02-30.984).

Lorsque l’employeur a été prévenu de l’existence d’un risque, soit par un salarié (Cass. soc., 17 juill. 1998, n° 96-20.988) soit par les membres du CHSCT, et qu’un accident du travail ou qu’une maladie professionnelle se révèle, il y a alors une présomption irréfragable de faute inexcusable commise par l’employeur. Cela signifie que l’employeur ne peut pas apporter la preuve contraire (C. trav., art. L. 4131-4). De même l’absence de formation à la sécurité des salariés, tous statuts confondus, emporte présomption de faute inexcusable, mais cette fois il s’agit d’une présomption simple, c’est- à- dire susceptible de preuve contraire par l’employeur.

Il n’est par ailleurs pas nécessaire que le manquement de l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident (Cass. soc., 31 oct. 2002, n° 00-18.359 et n° 01-20.445). Cela signifie que même s’il existe d’autres fautes ou d’autres paramètres que ceux propres à l’obligation de sécurité de l’employeur, la responsabilité de ce dernier pourra tout de même être recherchée sur ce fondement dès lors que son abstention a participé à la réalisation de l’accident ayant entraîné le dommage.

LA DÉLÉGATION DE POUVOIR

Le salarié qui a accepté une délégation de pouvoirs (implicite ou explicite) de la part de son employeur reçoit non seulement les pouvoirs, mais aussi les responsabilités qui lui sont attachées. Il est par conséquent celui qui supportera, au moins dans un premier temps, la responsabilité de la faute inexcusable, si elle est reconnue.

Bien entendu ce transfert de responsabilité ne vaut que dans l’hypothèse où la délégation de pouvoirs est valide. Elle doit donc être dépourvue de toute ambigüité et le salarié qui en est doté doit disposer du pouvoir, de la compétence, des moyens et de l’autorité nécessaires à son exercice. La Cour de cassation exerce un strict contrôle sur ce point (Cass. crim., 8 mars 1988, n° 87-83.282). En outre, la délégation de pouvoirs n’empêche pas la mise en cause du délégataire.

L’INDEMNISATION

Lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, le salarié a droit à une indemnisation complémentaire à celle qui lui est versée au titre de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle. Il peut également prétendre à obtenir une réparation pour les préjudices subis en cas d’incapacité permanente.

Les préjudices pour lesquels le salarié peut obtenir réparation sont ceux causés par les souffrances physiques et morales, les préjudices esthétiques et d’agrément (trouble ressenti dans les conditions d’existence même de la personne) ainsi que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle (CSS, art. L. 452-3 ; Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 11-21.015, n° 11-21.016 et n° 11-26.955 pour un préjudice d’agrément ; Cass. 2e civ., 7 févr. 2013, n° 11-28.342 pour une perte de gain professionnel ou l’incidence professionnelle). Cette liste n’est pas limitative, ce qui signifie que d’autres préjudices (exemple : frais d’aménagement du logement, adaptation du véhicule, préjudice sexuel, etc.) peuvent être réparés.

L’évolution s’est produite en 2002, lorsque les juges de la Cour de cassation ont appliqué une décision du Conseil constitutionnel (Cons. const. n° 2010-8, QPC 18 juin 2010) et considéré que les préjudices réparables devaient être élargis par rapport à la jurisprudence antérieure. Les préjudices non prévus par le Livre IV (accident du travail et maladie professionnelle, plus spécialement l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale précédemment visé) doivent donc désormais être pris en charge par la caisse de sécurité sociale (principe de réparation intégrale du préjudice : Cass. 2e civ., 30 juin 2011, n° 10-19.475 ; Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, n° 11-15.393, n° 11-18.014, n° 11-12.299, n° 11-14.311 et n° 11-14.594).

À NOTER
Le salarié travaillant pour le compte de plusieurs employeurs ne perd pas le droit d’invoquer la faute inexcusable de l’un d’entre eux et donc de demander une indemnisation complémentaire (Cass. 2e civ., 8 mars 2005, n° 02-30.998).

Ajoutons que lorsque la victime souffre d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, celle- ci obtient alors, en plus de la majoration de la rente, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation (CSS, art. L. 452-3).

Ces sommes sont versées par la Caisse de sécurité sociale (Caisse primaire d’assurance maladie) qui se retourne ensuite contre l’employeur pour obtenir en partie le remboursement. (CSS, art. L. 452-2). L’employeur versera une cotisation complémentaire d’accident du travail (CSS, art. R. 452-1 et s.). Si la caisse ne peut pas récupérer cette cotisation complémentaire en raison de la disparition de l’employeur ou encore de liquidation judiciaire, le salarié bénéficiaire de la rente n’en subit aucune conséquence (Cass. soc., 28 mars 1984, n° 81-16.419). De plus, en cas de cession de société, la société cessionnaire est subrogée dans l’obligation de la société cédante d’indemniser le salarié (Cass. 2e civ., 13 déc. 2005, n° 05-12.284).

En cas de recours à l’intérim, l’interlocuteur responsable des salariés intérimaires reste l’entreprise de travail temporaire, même si ce n’est pas elle qui a commis la faute : libre à elle ensuite de se retourner contre l’entreprise utilisatrice pour obtenir une compensation (on parle d’action récursoire : CSS, art. L. 412-6).

Les ayants droit, quant à eux, en cas de décès du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, peuvent demander une indemnisation du préjudice moral subi par la victime (Cass. 2e civ., 20 sept. 2005, n° 04-30.110 et Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 07-17.601 ; CSS, art. L. 452-3).

À NOTER
Quand un salarié a été licencié pour inaptitude suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle pour lequel la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue, il a droit à des dommages- intérêts, versés par l’employeur, en réparation de la perte de son emploi (Cass. soc., 14 avr. 2010, n° 09-40.357). Il en va de même pour la perte des droits à la retraite en cas de licenciement prononcé dans des circonstances similaires (Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-20.991). Cependant la somme allouée au titre de la perte d’emploi ne pourra pas se cumuler avec celle de 12 mois de salaires destinée à réparer l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié inapte liée au manquement de l’employeur à son obligation de reclassement en pareil cas (Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-28.799).

LE TRIBUNAL COMPÉTENT

Dans un premier temps, il peut ne pas y avoir de contentieux si les parties (Caisse de sécurité sociale et victime ou ayants droit d’un côté et employeur de l’autre) reconnaissent amiablement l’existence d’une faute inexcusable et se mettent d’accord sur le montant de la majoration de la rente et des indemnités.

Remarque : le salarié et l’employeur ne saurait en revanche signer un protocole d’accord dans lequel la salarié renoncerait à faire valoir la faute inexcusable auprès des juges moyennant l’octroi d’une somme négociée (Cass. 2e civ., 1er juin 2011, n° 10-20.178).

À défaut d’accord amiable, la demande d’indemnisation se fait auprès du Tass (Tribunal des affaires de sécurité sociale). Ce contentieux n’étant pas basé sur la responsabilité civile, les juridictions de droit commun ne sont pas compétentes (CSS, art. L. 452-4 et L. 451-1).

L’action doit être engagée dans un délai de deux ans à compter :
soit du jour de l’accident, ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière (Cass. 2e civ., 14 mars 2013, n° 12-11.856 ; Cass. 2e civ., 4 avr. 2013, n° 12-15.517 ; Cass. 2e civ., 24 janv. 2013, n° 11-27.714) ;
soit en cas de modifi cation ou d’aggravation de l’état de santé après la guérison ou la consolidation, à compter de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l’état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l’avis émis par l’expert, ou de la date de cessation du paiement de l’indemnité journalière allouée en raison de la rechute (Cass. 2e civ., 24 janv. 2013, n° 11-28.595 et n° 11-28.707);
soit à compter du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision par les ayants droit ;
soit à compter de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l’éducation surveillée dans le cas où la victime n’a pas droit aux indemnités journalières (CSS, art. L. 431-2).

La commission d’indemnisation des victimes d’infractions est incompétente pour la reconnaissance d’une faute inexcusable (Cass. 2e civ., 3 mai 2006, n° 04-19.080).

LE CAS DE L’AMIANTE

La demande d’indemnisation auprès du Fiva (Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante) vaut désistement des actions juridictionnelles car le Fiva est subrogé dans les droits de la victime (Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 12-15.153, n° 12-13.054 et n° 12-15.152).

En revanche, dès lors que la juridiction de sécurité sociale répare un préjudice et que sa décision est irrévocable, la victime est irrecevable à réitérer sa demande devant le Fiva. Il faut opérer un choix dès le départ (Cass. 2e civ., 7 févr. 2013, n° 11-28.974).

LE MONTANT DE LA RENTE MAJORÉE

La rente est majorée en fonction de la réduction de la capacité du salarié victime (et non en fonction de la gravité de la faute de l’employeur : Cass. soc., 19 déc. 2002, n° 01-20.447). L’indemnité, qui peut être versée en une ou plusieurs fois, ne peut excéder soit la fraction de salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant du salaire en cas d’incapacité totale (c’est ce second montant qui est également retenu en cas de décès du salarié pour les ayants droit) (CSS, art. L. 452-2).

La majoration est fi xée à son maximum chaque fois qu’il s’agit d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle en lien avec une faute inexcusable de l’employeur (Cass. 2e civ., 17 janv 2007, n° 05-17.701).

LA FAUTE INEXCUSABLE DU SALARIÉ VICTIME

Le salarié a l’obligation d’assurer sa propre sécurité ainsi que celle des personnes qui l’entourent. Il peut être l’auteur d’une faute inexcusable s’il s’expose à un danger dont il aurait du avoir conscience et que cette faute est d’une exceptionnelle gravité.

Elle a pour conséquence de réduire la majoration de la rente versée au salarié ou à ses ayants droit (CSS, art. L. 453-1 et Cass. soc., 19 déc. 2002, n° 01-20.447). La faute d’un tiers n’est en revanche pas susceptible d’entrainer la réduction de la majoration de rente allouée au salarié (Cass. soc., 2 nov. 2004, n° 03-30.206).

ACTION CIVILE ET ACTION PÉNALE

L’action pénale contre l’employeur est possible. Elle tend à obtenir une sanction qui se traduit par une amende et/ou une peine d’emprisonnement. Cette action est différente de celle qui est menée sur le plan civil en recherche de faute inexcusable de l’employeur. Le salarié souhaite ici obtenir une réparation, le plus souvent pécuniaire, des préjudices qu’il a subis.

L’article 4-1 du Code de procédure pénale prévoit que « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afi n d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie, ou en application de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ». La Cour de cassation a rappelé ce principe le 10 mai 2012 dans le cadre d’un accident mortel du travail pris en charge par la caisse d’assurance maladie de la Gironde au titre de la législation professionnelle ; la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue alors même que le juge répressif avait conclu à l’absence de faute intentionnelle (Cass. 2e civ., 10 mai 2012, n° 11-14.739 ; voir également Cass. soc., 12 juill. 2001,
n° 99-18.375).

Source  (WK-RH)

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