Handicapés : il faut rendre "banale" leur arrivée dans l'entreprise

Posté le 2 avril 2014 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

Les personnes en situation de handicap ont encore beaucoup de mal à trouver leur place en entreprise : 22% de chômeurs, des obligations d'emploi qui ne sont pas respectées, et des réformes qui avancent "à la vitesse de la tortue". Jean-Louis Garcia, le président des Apajh (associations pour adultes et jeunes handicapés), plaide pour une "révolution culturelle". Entretien.






La loi du 11 février 2005 prévoit un système de sanctions alourdies pour faire respecter l'obligation de l'emploi d'un quota de 6% de personnes handicapées dans le secteur public et dans les entreprises privées de plus de vingt personnes. Neuf ans après, cette obligation est-elle mieux suivie ?

Jean-Louis Garcia : C'est en réalité plutôt catastrophique. Aujourd'hui, quand vous êtes en situation de handicap, vous êtes deux fois plus chômeur. En effet, en France, on approche les 11% de personnes au chômage, toutes populations confondues. Pour les personnes en situation de handicap, c'est 22%. De nombreuses entreprises ne jouent pas le jeu et ne remplissent pas leur obligation, certaines n'ont même fait aucun effort depuis 1987. C'est la loi de juillet 1987 qui prévoit au départ cette obligation de 6%, celle de février 2005la renforce en matière de sanctions notamment. Eh bien, depuis tout ce temps, des entreprises sont toujours à un taux zéro. Et d'ailleurs, quand le Premier ministre, François Fillon, a réalisé en 2010 que certaines étaient en effet toujours à ce niveau, il leur a accordé six mois supplémentaires. Elles n'avaient rien fait en cinq ans, et on leur a accordé six mois supplémentaires. C'est incompréhensible.

Vous avez le sentiment que ça a changé depuis deux ans ?

J.-L. G. : Les paroles sont fortes, maintenant... Ça avance, mais ça avance à la vitesse de la tortue. Au rythme où nous sommes, dans un siècle, je le crains, nous n'aurons toujours pas rempli les obligations légales.

Renforcer les sanctions ne semblent donc pas avoir été le bon levier. Mais, quelle autre mesure envisager ?

J.-L. G. : C'est un levier, mais ça n'est pas suffisant. Il y a un autre changement : depuis 2005, la fonction publique – d'État, territoriale ou hospitalière – est soumise aux mêmes pénalités, alors qu'elles n'étaient tenues, par la loi de juillet 1987, qu'au quota, sans les pénalités. Or, on constate là aussi qu'il y a de mauvais élèves. Et le plus mauvais de la fonction publique est l'Éducation nationale, le corps qui devrait précisément montrer l'exemple : moins de 2% de son personnel est en situation de handicap. Comment voulez-vous qu'un enfant, en situation de handicap à l'école, puisse lui-même se projeter comme un futur professionnel de l'Éducation nationale ? Il n'a en face de lui personne qui lui ressemble. À partir du moment où celui qui devrait être exemplaire est aussi mauvais, on peut imaginer que les autres ne sont pas mieux.

Comment est-ce que cela se passe dans le secteur privé ?

J.-L. G. : C'est très variable. Vous avez des entreprises qui sont exemplaires - elles mettent en place des correspondants "handicap", des référents "handicap", des programmes en lien avec l'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées) ou le Fiphfp (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) dans la fonction publique. Mais, que les entreprises soient publiques ou privées, il faut une volonté de leurs dirigeants et une volonté politique pour faire avancer les choses. Je pense que la volonté politique existe. En revanche à la tête des entreprises, c'est plus variable.

Pour quelles raisons selon vous ? Que disent les dirigeants de ces entreprises qui ne remplissent pas l'obligation des 6% ?

J.-L. G. : C'est difficile à comprendre. Cependant – et ils nous le reprochent – il existe en effet une inadéquation entre le niveau de formation des personnes en handicap et les postes qui sont proposés. Nous avons, nous, champ du handicap, à faire un travail avec les entreprises de formation et des personnes en situation de handicap pour qu'elles puissent disposer des compétences qui leur permettent d'avoir un emploi. En résumé, il faut mieux former les personnes en situation de handicap pour qu'elles puissent candidater à des postes qui sont disponibles.

Le texte sur la formation professionnelle, actuellement en discussion au Parlement, consacre justement un volet aux personnes en situation de handicap. Qu'en pensez-vous?

J.-L. G. : Nous sommes très attentifs à ce qui est en train de se passer au Parlement concernant le projet de loi sur la formation professionnelle. En matière de formation, nous avons en effet reçu l'assurance de la ministre Marie-Arlette Carlotti que cela allait évoluer pour les personnes en situation de handicap et qu'elles bénéficieraient d'un meilleur dispositif de formation. Le projet de loi est un levier, mais ça n'est pas suffisant. Il nous faut notamment plus de moyens et plus d'obligations pour mieux intégrer les personnes en situation de handicap. Nous avons nous-mêmes aussi un rôle à jouer avec les entreprises. Notamment, si l'une veut accueillir une personne en situation de handicap, et qu'elle n'y connait rien, nous nous proposons d'assurer cette transition. Nous en avons fait la demande auprès de la ministre. Elle l'a bien entendu. Nous attendons, désormais. Il s'agit de rassurer la personne qui va quitter un milieu protégé pour aller en plein vent, ainsi que sa structure d'accueil. On se rend compte que, lorsque l'on arrive à faire sortir de façon accompagnée un travailleur handicapé du secteur protégé pour le conduire dans le monde ordinaire, c'est un contrat qui dure : la personne en situation de handicap qui s'est battue pour accéder à un boulot, le jour où elle le décroche, elle s'y accroche.

Au-delà du quota à respecter, l'accompagnement proposé en entreprise pour un travailleur en situation de handicap est-il satisfaisant ?

J.-L. G. : Non, les choses n'avancent pas, là non plus. Il y a une synergie à mettre en place entre le champ du médico-social, et les professionnels de l'entreprise. C'est une révolution culturelle qu'il faut faire, il faut rendre banale l'arrivée de la personne en situation de handicap dans les entreprises ordinaires, et ça, ça n'est pas gagné.

La loi de 2005 a aussi permis la reconnaissance du handicap psychique. La situation de ces personnes souvent mises à l'index, a-t-elle évolué ?

J.-L. G. : Au moins, elles sont reconnues. C'étaient des personnes qui, auparavant étaient cachées, exclues. Le fait qu'elles soient dans la loi leur a ouvert des droits. Sauf que, prenons l'exemple d'un trisomique : vous lui apprenez les gestes, ça va prendre du temps, mais une fois le geste assimilé, il va pouvoir le reproduire au quotidien et être productif. Quelqu'un qui souffre d'un handicap psychique apprend le geste technique en quelques minutes, mais le jour où ça ne va pas aller, vous n'allez plus le voir pendant quinze jours. C'est la maladie mentale. Et ces personnes sont malheureusement moins bien accompagnées que les personnes souffrant d'un handicap physique.

Vous venez d'envoyer votre "pacte handicap" à tous les candidats aux élections municipales. De quoi s'agit-il précisément ?

J.-L. G. : C'est un document qui s'adresse en effet aux candidats aux élections municipales. Avec cinq axes, dont un consacré à l'emploi des personnes en situation de handicap. Nous leur demandons de s'engager : "allez-vous remplir l'obligation des 6% ?" , "qu'allez-vous mettre en oeuvre pour y parvenir ?". Nous souhaitons qu'ils appliquent la loi. Et faire en sorte que les personnes en situation de handicap ne se sentent plus comme des sous-citoyens, non respectés. Nous sommes en effet dans un pays qui, malheureusement, exclut encore facilement.

Source : par Rosanne Aries (actuel-hse.fr)

Espace CHSCT, plateforme N°1 d'information CHSCT, édité par son partenaire Travail & Facteur Humain, cabinet spécialisé en expertise CHSCT et formation CHSCT