Le gouvernement ouvre le chantier de la définition de l'entreprise

Posté le 8 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

Le gouvernement a confié vendredi au président de Michelin, Jean-Dominique Sénard, et à Nicole Notat, la présidente de Vigéo-Eiris, une mission sur l'entreprise. Au menu : la définition de l'entreprise, sa gouvernance mais aussi les dispositifs de participation et d'intéressement. Leurs recommandations, formulées avant le 1er mars, nourriront le projet de loi PACTE de Bruno Le Maire.

Pas moins de quatre ministres et l'ensemble des partenaires sociaux se sont réunis ce vendredi, en fin de matinée, dans la grande salle des accords du ministère du travail pour ouvrir officiellement un nouveau chantier, celui de "la vision de l’entreprise dans la société". Derrière cet intitulé "fourre-tout", un certain nombre de sujets assez hétéroclites doivent être abordés, comme la définition de l'objet social de l'entreprise, les dispositifs de participation et d'intéressement, la gouvernance des entreprises, la participation des salariés aux conseils d'administration...

Ce sont autant de sujets sur lesquels vont devoir se pencher - en un temps record - Jean-Dominique Sénard, président du groupe Michelin, et Nicolas Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et actuelle présidente de l'agence de notation Vigéo Eiris. Leurs recommandations sont en effet attendues avant le 1er mars 2018. Les préconisations qui seront retenues seront intégrées dans le projet de loi "Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises" (PACTE) du ministre de l'économie Bruno Le Maire, qui sera présenté en Conseil des ministres au printemps prochain pour une adoption avant la fin de l'année.

De (trop) nombreux sujets sur la table ?

Le tour de table a permis de prendre conscience de l'étendue et de l'ambition - peut-être démesurée - de ce chantier. "Il faut faire évoluer la notion d'entreprise", a estimé Muriel Pénicaud, la ministre du travail, en introduction des échanges. Pour Bruno Le Maire, il est nécessaire de "faire grandir les entreprises, qui sont trop petites, pas assez armées par rapport à la mondialisation et aux restructurations technologiques pour aller chercher la croissance". Le ministre de l'économie a aussi insisté sur l'importance de "mieux associer les salariés au fonctionnement et aux résultats de l'entreprise". Pour ce faire, simplifier les mécanismes de participation et d'intéressement afin que "100% des salariés [soient] couverts par un accord de participation/intéressement". Le ministre a évoqué les autres sujets qui sont sur la table : la gouvernance des entreprises, l'objet social de l'entreprise, la possibilité de créer des entreprises à mission, etc.

Une ambition tempérée toutefois par la garde des sceaux, Nicole Belloubet, qui a joué son rôle de gardienne de la loi. "Faut-il écrire de nouveaux textes ou réécrire des textes créés depuis longtemps ? Retoucher de nouveau le code civil ?". Il est en effet question de réviser les articles 1832 et 1833 du code civil qui traitent de l'objet social de la société. Sans apporter de réponse, la garde des sceaux a toutefois alerté sur la nécessaire "sécurité juridique". "Il n'y a pas d'attractivité de la France sans cette sécurité juridique". L'équation à résoudre n'est donc pas simple : "étendre l'objet social de l'entreprise et en même temps établir un cadre clair pour assurer la sécurité juridique", selon les propres termes de Nicole Belloubet.

C'est une autre limite qu'a posé Stanislas Guérini, député LREM de la 3e circonscription de Paris, qui a réfléchi en amont à ces questions avec Agnès Touraine, présidente de l'Institut des administrateurs à la demande de Bruno Le Maire. Soucieux sans doute de ne pas faire peser sur les entreprises de nouvelles obligations, il a insisté sur le fait que "toutes les propositions devront respecter la liberté d'entreprendre".

Les partenaires sociaux partagés

Parmi les partenaires sociaux, les divergences sont aussi patentes. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, est enthousiaste. D'autant plus que, lors des débats autour des ordonnances, ses revendications sur la gouvernance des entreprises n'ont pas été satisfaites. "Les salariés veulent être davantage associés aux choix de l'entreprise qui les concernent. C'est une bonne chose de réinterroger le fonctionnement de l'entreprise", estime-t-il, évoquant aussi la participation des salariés aux orientations stratégiques de l'entreprise. Quant à la réécriture des articles du code civil, il y est aussi favorable. "Ce serait symbolique de réinterroger les articles du code civil sur la finalité de l'entreprise".

Des annonces qui laissent Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, plus sceptique. "Il ne faut pas faire des salariés des administrateurs comme les autres. Pour la participation à la stratégie, il n'y a pas que l'intégration dans les conseils d'administration". Il a également mis en garde contre le risque de "substitution entre la participation et l'intéressement et le salaire".

Du côté du patronat, la CPME a exprimé ses vives réticences dans un communiqué adressé le matin même, juste avant la réunion. "Mettre de manière autoritaire sur un pied d’égalité juridique les salariés, les fournisseurs, les clients ou toute autre communauté potentiellement affectée par l’activité de l’entreprise quelle qu’elle soit, risquerait en effet d’entraîner une multiplication des contentieux. Et pas seulement dans les grandes entreprises. Modifier le code civil en imposant à tous un objet social intégrant toutes les parties prenantes de l’entreprise serait donc une mauvaise réponse à une vraie question".

C'est entre toutes ces voix discordantes que Jean-Dominique Sénard et Nicole Notat vont devoir trancher dans les semaines à venir, à l'issue des auditions qu'ils auront menées.

Florence Mehrez Actuel-RH (lire l'article original)