Le "lean": du travail sans "gras" qui fait débat

Posté le 28 février 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

altLe "lean", mode d'organisation du travail sans "gras" qui vise à faire la chasse au gaspillage, se répand dans les entreprises depuis quelques années, bien au-delà de l'industrie où il est né, suscitant de vifs débats entre les défenseurs du concept et ses détracteurs.

Venu du Japon, il séduit certaines entreprises par les gains de productivité spectaculaires qu'il peut engendrer (jusqu'à + 30 %) mais est souvent vu par les salariés et les syndicats comme un facteur de dégradation des conditions de travail.

D'abord présent dans l'industrie, le lean (maigre en anglais), qui consiste notamment à éliminer le superflu (temps morts, gestes inutiles, temps d'attente, déplacements, stocks excessifs, non-qualité, etc.) gagne tous les secteurs, y compris les services où la méthode "coince" particulièrement, selon les experts.

Les équipementiers automobiles Valeo et Michelin ont été des précurseurs, mais le lean serait aujourd'hui à l'oeuvre au sein de groupes aussi divers que Louis Vuitton, PSA, BNP Paribas, Danone ou Philips, ainsi que certains services publics comme Pôle emploi.

Selon Philippe Rouzaud, auteur de Salariés, le lean tisse sa toile et vous entoure..., le concept originel repose sur deux conditions importantes : "une amélioration permanente et continue et le fait d'aller chercher la parole auprès des salariés".

Il s'accompagne de "promesses d'amélioration des conditions de travail", explique l'expert auprès des comités d'hygiène et de sécurité (CHSCT) au sein du cabinet Secafi, souvent appelé à intervenir lorsque le lean pose problème. L'idée, résume-t-il, est de dire que, puisque le salarié faisait des choses inutiles, il prendra du plaisir à ne plus les faire. Mais dans les faits, ces gains de productivité posent souvent la question du bien-être des salariés, lorsque par exemple sont supprimés les déplacements "inutiles", qui permettent de souffler.

En outre, a-t-il expliqué lors d'une rencontre de l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), sa mise en oeuvre échoue dans près de 90 % des cas, car les entreprises retiennent avant tout l'aspect productivité.

"On joue aux apprentis sorciers"

"Oui, le lean, malheureusement, est un outil très performant", résume-t-il. Mais, "on se rend compte, compte tenu de la conjoncture, que, derrière de nombreux programmes utilisant les outils du lean, il y a des suppressions de postes".

Éric Queyssalier, consultant chez Progress Partners, qui aide des entreprises à mettre en place le lean, défend de son côté la méthode qui conduit à une "vraie valorisation du travail". Mais il admet que les Européens n'ont peut-être "pas tout compris".

Lorsqu'il est dévoyé, "le lean apporte de l'intensification du travail" et s'avère générateur de risques psychosociaux, de troubles musculo-squelettiques, etc., souligne M. Rouzaud.

En 2006, un rapport du Centre d'étude de l'emploi (CEE) notait ainsi une dégradation des conditions de travail en Europe dans les organisations en "lean", par rapport aux autres organisations, y compris tayloriennes.

L'ergonome Emmanuelle Florence souligne en outre qu'il s'agit d'un procédé très coûteux à mettre en place qui exige une "reconsidération totale des modes de pensée, donc, en général, les entreprises ne reviennent pas en arrière".

"On est en train de jouer aux apprentis sorciers sur la santé et les conditions de travail en France. On en verra les conséquences dans six mois, un an, ou deux ans", prévient M. Rouzaud.

Récemment, le tribunal de grande instance de Nanterre a donné une arme aux représentants du personnel, par une décision qui devrait faire jurisprudence : la mise en oeuvre du lean doit faire l'objet d'une consultation du CHSCT.

source: lepoint.fr

Espace CHSCT, plateforme N°1 d'information CHSCT, édité par son partenaire Travail & Facteur Humain, cabinet spécialisé en expertise CHSCT et formation CHSCT