La France se suicide

Posté le 3 janvier 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

altC’est avec consternation et inquiétude que j’ai lu la dépêche publiée par l’AFP mardi dernier, révélant les proportions dramatiques du problème du suicide en France. A en croire le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), 10 464 suicides ont été enregistrés dans notre pays en 2009. Pire encore, 5,5% des 15-85 ans auraient déjà fait une tentative de suicide dans leur vie ! De tels chiffres devraient sans nul doute faire réfléchir nos hommes politiques, mais à cinq mois de l’élection la plus décisive de notre République, aucun des candidats de l’hyperclasse n’a jugé nécessaire de faire la moindre déclaration sur un problème qui concerne directement le destin et les perspectives d’avenir des Français.   En vérité, ce que révèlent ces 10 000 suicides annuels et ce nombre toujours croissant d’idées suicidaires, c’est qu’il a cessé de « faire bon vivre » en France. Il suffit d’ouvrir les yeux sur le monde actuel pour s’en rendre compte. Un français moyen, aujourd’hui, a toutes les chances de se retrouver au chômage : s’il n’a pas fait d’études, il est « sous-qualifié » ; s’il en a fait, on lui préfèrera un diplômé étranger coûtant moins cher arrivé chez nous au titre de « l’immigration choisie » ; s’il est un « senior », on estimera qu’il n’est pas avantageux pour son entreprise de l’embaucher. Sans profession, ne percevant pour revenus que les modestes allocations versées par l’Etat, envoyant son CV à travers toute la ville sans résultat ou multipliant les emplois précaires à durée plus que limitée, il se sentira rapidement dépourvu de toute utilité sociale, réduit au rang de « parasite », en plus de ne pas pouvoir payer ses factures et faire vivre sa famille s’il en a une. Si, par chance, il trouve enfin un emploi, il n’est pas certain qu’il soit beaucoup plus gâté : fréquemment, il viendra grossir les rangs de ce nouveau prolétariat sous-payé et maltraité que l’on emploie aujourd’hui dans le secteur tertiaire, des rayons de supermarché aux bureaux de France Telecom, où les suicides à répétition ont récemment défrayé la chronique. Il faut ajouter à cela sa vie familiale, qui, dans un pays où près d’un mariage sur deux se termine par un divorce, a toutes les chances de péricliter suite à un éventuel licenciement.   Ce tableau dramatique qui, hélas, ne relève pas de la caricature, est tout aussi sombre pour les adolescents, l’une des catégories les plus touchées par le suicide. Dans cette période délicate, ils connaissent de plus en plus souvent le chômage et le divorce des parents, et, selon le quartier où ils habitent, les voitures brûlées dans leur cité, le racket dans leur lycée, et parfois même le viol pour les jeunes filles. Au-delà même de tous ces problèmes, c’est la question de l’avenir que nous pouvons leur offrir qui se pose à nous. Peut-on réellement avoir envie de vivre avec enthousiasme dans une société qui a pour seul horizon la consommation de masse et la société des loisirs, même lorsqu’il devient de plus en plus difficile de consommer et de s’offrir des loisirs ?   Nos hommes politiques nous ont vendu un rêve qui se transforme jour après jour en cauchemar. Dans la société de demain, des gourous de sectes écriront des best-sellers sur « comment trouver le bonheur en 20 leçons ? » pendant que leurs futurs adeptes continueront à faire de la France le pays où l’on consomme le plus d’antidépresseurs au monde. Il y aura de plus en plus d’émissions de télévision consacrées à la cuisine et de pages « recettes » dans les magazines féminins, mais on ne mangera plus que des organismes génétiquement modifiés dans des chaines de fast-food anglo-saxonnes car l’agriculture européenne aura été démantelée et les restaurants de qualité auront fermé sous le poids de la fiscalité. Il y aura de plus en plus de publicités pour agences de voyage et il n’aura jamais été aussi facile d’aller à l’autre bout du monde, mais alors qu’autrefois changer de région c’était changer de coutumes et d’univers, demain nous trouverons à l’autre extrémité de la planète les mêmes bâtiments en béton, les mêmes vêtements fabriqués par des enfants chinois à la demande d’entreprises américaines, les mêmes « stars » vendant leur sous-culture à des populations pour lesquelles l’obéissance aveugle à la mode aura remplacé le bon goût naturel. Il y aura de plus en plus de revues pornographiques affichées sans pudeur sur nos kiosques et de films douteux en accès libre sur Internet, mais les hommes devront acheter en masse des pilules contre l’impuissance pour échapper à un monde désormais dépourvu de toute sensualité et oublier leur propre misère sexuelle. Il y aura de plus en plus de femmes sur le marché du travail pour le plus grand bonheur des féministes, mais elles serviront d’armée de réserve pour le patronat qui les utilisera comme caissières payées la moitié du SMIC pendant que leurs enfants seront élevés dans des écoles dont ils sortiront sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter comme c’est déjà le cas de 20% d’entre eux en classe de sixième aujourd’hui. Tout le monde aura accès à l’art, mais en guise d’ « art » il n’y aura plus que des excréments étalés sur du papier glacé pour être vendus plusieurs millions de dollars par des « artistes » cyniques passant leur vacances à Dubaï. Tout le monde aura accès à la parole médiatique, mais ce sera pour permettre à des Français qui ne pourront plus s’exprimer dans les urnes sur leur avenir de raconter leurs problèmes de couples à la télévision, et de voter pour les candidats de la Star Academy à défaut de voter pour des élections politiques qui n’auront plus aucun intérêt à leurs yeux. Il n’y aura jamais eu non plus autant de « séries familiales » l’après-midi à la télévision, sans doute pour oublier que les familles n’existeront plus, totalement détruites et disloquées, dans ce « meilleur des mondes » où, comme disait déjà Ernest Renan, « on naît enfant trouvé et on meurt célibataire ».   Peut-on vraiment s’étonner que certains choisissent la mort physique dans une société qui ne leur offre plus que la mort économique, sociale, intellectuelle et morale ? Si nous voulons redonner l’espoir à nos compatriotes, c’est contre ce monde-là qu’il faut nous battre, un monde où une poignée de trusts commerciaux s’apprêtent à transformer la planète en un gigantesque marché de consommateurs abâtardis au nord et d’esclaves misérables au sud.   Le véritable débat qui se posera l’année prochaine, ce n’est pas de savoir comment gagner quelques points de croissance en plus, ni comment conserver notre triple A pour rester dans les petits papiers des agences de notation. Le débat, et disons même le défi, qui s’offre à nous est celui d’un changement profond de nos pratiques et de nos mentalités, pour revenir aux sources de notre civilisation : l’honneur, le courage, le respect, la mesure en toute chose, cette éthique qui depuis les Grecs jusqu’aux soldats de la Révolution en passant par les Romains a fait la grandeur de notre espace européen, et à laquelle il nous faudra revenir si nous voulons survivre. En laissant s’appauvrir notre peuple, en laissant le pouvoir à quelques oligarques dont la capacité de nuisance se vérifie tous les jours, en laissant se dégrader notre culture au point d’anéantir tout ce qui, pendant des générations, avait donné de l’espoir en l’avenir à nos parents et à nos grands-parents qui pensaient souffrir pour un monde meilleur, ce n’est pas seulement quelques 10 000 français, c’est la France toute entière qui se suicide chaque jour.
source: agora-vox