Casale Monferrato: Hiroshima de l'amiante

Posté le 14 février 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

altVia 20 Settembre, Via Roma, Corso Indipendenza : rien ne distingue aujourd'hui ces trois rues de Casale Monferrato, dans le Piémont italien. Le mésothéliome, le cancer de la plèvre, y a pourtant tué deux fois plus d'habitants qu'ailleurs dans la ville martyre. Une cicatrice de mort laissée par les camions non bâchés qui transportaient les sacs d'amiante de la gare vers l'usine Eternit située, depuis 1906 jusqu'à sa fermeture en 1986, dans le quartier Ronzone.

Casale Monferrato est le Hiroshima de l'amiante : 1 800 morts pour une population de 35 000 habitants. Un chiffre en dessous de la réalité, car il ne prend pas en compte les décès advenus avant 1960. Mais aussi parce que le mésothéliome peut avoir plusieurs décennies d'incubation avant d'apparaître. Chaque année, plus de cinquante nouveaux cas, toujours mortels, se déclarent encore et la contamination n'atteindra son pic qu'en 2020... Sans parler de l'asbestose, cette fibrose pulmonaire qui coupe le souffle jusqu'à empêcher de marcher et qui touche des centaines d'habitants.

"La puvri, il y en avait partout"

Responsable de cette tuerie qui a fauché ouvriers d'Eternit et habitants : la poussière d'amiante - la "puvri" dans le dialecte local -, dont une seule particule dans la plèvre peut provoquer le mésothéliome. "La puvri, il y en avait partout, explique le syndicaliste Bruno Pesce. Dans l'usine, mais aussi dans la ville. Elle s'envolait des aires de stockage en plein air et des camions. L'usine offrait des déchets d'Eternit pour isoler les maisons, boucher les trous des sentiers ou des terrains de foot. L'ex-international de foot Sergio Castelletti est mort du cancer de la plèvre à 47 ans pour avoir commencé à jouer à l'oratoire de Casale Monferrato. Même les rives du Po, où les enfants se baignent l'été, étaient devenues une blanche plage d'Eternit."

Des drapeaux "Justice Eternit" aux fenêtres, un appartement de la place Castello est le siège de l'association des familles des victimes. Année après année, mort après mort, des hommes et des femmes s'y sont retrouvés pour lutter. D'abord pour tenter d'améliorer la condition des ouvriers. Après la faillite de l'usine en 1986, pour faire bannir l'Eternit de la ville. Pour contraindre en 1992 le Parlement italien à interdire l'amiante dans toute la péninsule. Enfin, pour attaquer devant les tribunaux les marchands de mort.

"On travaillait l'amiante bleue, la plus dangereuse, à la main"

Quatre-vingt-trois ans, une détermination à la hauteur de sa tragédie personnelle, la présidente de l'association, Romana Blasotti, a perdu cinq des siens dans la loterie macabre de l'amiante : son mari, qui travaillait à l'Eternit, mais aussi sa fille, sa soeur, sa cousine et un neveu. "On voyait les avis de décès sur les murs de l'usine mais on ne comprenait pas. Et l'Eternit payait bien, 30 % de salaire en plus pour la prime de poussière. Mais s'ils payaient une prime, c'est qu'ils savaient bien qu'il y avait du danger ! Je voudrais que Schmidheiny, le patron suisse, soit obligé de suivre un malade du début jusqu'à la fin de son calvaire."

Le souffle court à cause de l'asbestose, portant son vieux bleu de travail marqué du logo Eternit, Pietro Condello veut lui aussi témoigner. Il raconte le travail au "Kremlin", le secteur 3, le plus dur, où l'usine plaçait les fortes têtes. "On travaillait l'amiante bleue, la plus dangereuse, à la main. Parfois, les sacs de 50 kg s'éventraient et tout nous dégringolait sur la tête. Dans notre équipe de 30 gars, 28 sont morts de mésothéliome."

Comme Romana ou Pietro, plus de 700 habitants de Casale Monferrato seront présents lundi à Turin pour entendre la sentence du premier procès organisé au monde contre les responsables - pas les sous-fifres locaux - du drame de l'amiante. "Pour la justice, pas pour l'argent, explique Pietro. Parce que la vie d'homme, ça n'a pas de prix."

source: lepoint.fr

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